N° 99
LA CITOYENNETE MULTICULTURELLE
Will Kymlicka. Edition La découverte 2001.
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Dans sa "Préface
à l'édition française", l'auteur, en connaissance de cause, prévient que ses
arguments pour défendre la légitimité de certains "droits spécifiques aux
groupes", à partir d'une théorie libérale, rencontrent des résistances,
"particulièrement en France où l'on juge en général qu'ils contredisent des
aspects importants de la tradition républicaine". Tradition au nom de laquelle
"certains intellectuels français ont ainsi fait du multiculturalisme une sorte
de maladie typiquement nord-américaine dont il s'agit de se protéger coûte que coûte."
Le premier intérêt du livre de Kymlicka, pour un lecteur français,
est sans doute là justement : accéder à une lecture du milticulturalisme
non filtrée a priori par un jugement pathologisant. Il peut ainsi forger
sa propre opinion, construire ses points d'accords ou de désaccords à
partir d'une connaissance de première main des arguments. Un intérêt
quasiment pédagogique donc.
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Le style concis, la discussion des différents points de vue des auteurs
sur la question et l'appui sur différents exemples dans le monde reflètent
ce souci pédagogique. L'interrogation est large et ne laisse rien échapper
des implications de la question. Qu'est-ce que le multiculturalisme et quelles
en sont les diverses formes ? Quels droits peuvent revendiquer ces différentes
formes et pourquoi ? Quels rapports entre les droits "collectifs" et les droits
individuels ? Quel rôle joue la culture dans la théorie libérale de la démocratie ?
Quels sont les arguments fondés sur l'égalité en faveur des droits spécifiques à
accorder aux groupes ethniques ? Les droits "polyeth-niques" sont-ils compatibles
avec le projet d'intégration des minorités ethni-ques ?...
Le développement de ce questionnement fait de fait surgir le non-dit,
le non-pensé et les énormes confusions qui régnent dans les débats quand
ceux-ci se réduisent à une confrontation de "modèles" (de citoyenneté, d'intégration...)
nommés juste pour être opposés.
Abdellatif CHAOUITE
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DE LA PAROLE DES VICTIMES A L'ACTION CONTRE LE RACISME
M. Eckmann, A.-C. Salberg, C. Bolzman, K. Grünberg. IES éditions, Genève 2001.
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Si racisme,
xénophobie, antisémitisme et autres discriminations gangrènent depuis longtemps les
rapports humains et sociaux et s'ils sont également depuis longtemps combattus,
il n'empêche qu'aujourd'hui ces phénomènes éveillent d'une nouvelle manière les
inquiétudes et appellent des types de vigilence, d'analyse et d'action beaucoup
plus fines. Probablement parce que la nature même des relations entre les différents
groupes humains a changé : elles se sont accrues, faisant de l'horizon de la diversité
et du commerce de cette diversité le quotidien de tout un chacun. Le lointain est
plus que jamais le voisin, le collègue, le candidat ou le futur gendre !...
Cela excite les imaginaires, déforme les miroirs et menace l'une des attitudes
qui est au coeur de tout processus qui fait société : la retenue...
Certes, à tout niveau la mobilisation est décrétée et des outils politiques,
juridiques, sociaux sont mis en place pour combattre cette gangrène. Ceci est
nécessaire, est-ce suffisant pour autant ? Probablement pas et ce pour deux
raisons. La première est au départ de ce livre : les mesures prises "sont fondées,
dans une large mesure, sur les convictions et les sentiments de la population
majoritaire.
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On cherche peu les perceptions des victimes. Si bien que nous
combattons surtout les atteintes qui nous paraissent inadmissibles" laissant
échapper nombre d'autres "qui nous semblent insignifiantes". De ce fait, et
c'est la deuxième raison, notre responsabilité ne peut être entièrement assumée
si elle ne décline d'abord la compréhension la plus profonde possible de ces
phénomènes. C'est le pari de la recherche-action dont ce livre est le bilan.
Analyser des centaines d'appels téléphoniques des victimes sur la ligne verte
SOS Racisme mise en place par l'Association romande contre le racisme et construire
à partir de là une intervention adéquate. C'est peu dire que c'est un exemple à
suivre quand on aspire à ne pas en rester aux manifestations de dénonciation et
aux cycles commémoratifs, si nécessaires soit-ils. Les violences discriminantes
oeuvrent en sourdine, dans les plis cachés des rapports interpersonnels,
institutionnels, idéologiques, et soumettent les êtres des victimes à des
pouvoirs subtiles. Comprendre ces violences, à partir de "la parole des victimes"
arme autrement l'action à entreprendre. Un livre plus qu'utile.
A.C.
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LA MOBILITE SOCIALE DANS L'IMMIGRATION
Emmanuelle Santelli. Presses Universitaires du Mirail.2001
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L ' avantage
de s'intéresser à des itinéraires, des trajectoires singularisées et
contextualisées, est d'éviter la multitude des pièges que les discours
sur l'immigration et les immigrés ne manquent jamais de tendre du fait
même que ce sont des discours préconstruits sur l'immigration et les
immigrés : des catégorisations et des taxinomies qui, une fois forgées,
fonctionnent aveuglément en bouchant l'horizon d'une pensée sur les réalités
changeantes de ces phénomènes.
Le livre d'E. Santelli, qui porte comme sous-titre "Itinéraires de réussite
des enfants d'origine algérienne", illustre bien ce fait. Ces itinéraires
d'acteurs individuels et familiaux dont "témoigne" --dit modestement l'auteur--
le livre, révèlent des cheminements et une diversité qui contredisent bien des
préjugés entretenus par les discours prêt-à-porter. Et ce n'en est pas le moindre
mérite car, par là-même, il révèle également le drame de toute l'histoire
franco-algérienne : "Nous sommes parvenus aujourd'hui à un stade où la reconnaissance
des exactions et des souffrances provoquées par l'histoire coloniale est l'une des
conditions nécessaires à la reconnaissance des parcours migratoires, in fine à
l'installation sans rancune et sans remords des enfants de l'immigration algérienne."
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Autrement dit, pour que bien des parcours émergent, il faut que la toile historique
de fond le permette. Or, cette toile de fond continue de fonctionner plutôt comme un
trou noir qui les aspire au lieu de les laisser se propulser vers leurs propres destinées.
C'est également une leçon (encore une !) à tirer à propos de l'intégration en
tant que modalité discursive qui continue à être imposée là-même où les processus
d'installation et de socialisation de la population d'origine algérienne se sont
accomplis depuis belle lurette dans une diversité des parcours sociaux de réussite
comme d'échec, ces derniers n'étant pas plus signes de non-intégration que les premiers
ne le sont d'une sur-intégration.
C'est donc une autre façon de penser, plus féconde, qui est ici proposée :
comprendre comment s'élaborent les trajectoires socio-professionnelles de personnes
dont les pères, ouvriers immigrés d'origine algérienne, sont devenus, hors de toute
fatalité, des cadres et des entrepreneurs. Un éclairage des mobilités sociales au
croisement des mobilisations familiales et de l'histoire.
Abdellatif CHAOUITE
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L'AVENTURE DU BILINGUISME
Aleksandra Kroh. Ed. L'Harmattan, 2000
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Cet
ouvrage nous propose d'aborder "l'aventure du bilin-guisme" à travers les entretiens avec
sept écrivains et deux scientifiques venus d'horizons géographiques très divers, qui ont
tous vécu cette expérience de "l'autre langue".
Vassilis Alexakis, Rachid Boudjedra, Alioum Fantouré, Nancy Huston, Agota Kristof,
Salah Stétié, Gao Xingjian, Andras Bardossy et Andrzej Tramer, racontent ainsi
"les circonstances qui les ont amenés à choisir la langue française pour l'écriture,
de la relation qu'ils ont établie avec elle, des périls et des joies du bilinguisme"...
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Chaque entretien est découpé selon trois thèmes, traduits en trois chapitres :
"la rencontre", "le choix", "entre deux langues", qui retracent dans un premier
temps les circonstances de l'exil et la rencontre avec la langue française, puis
dans un second temps la vie quotidienne et créative du "bilingue", en particulier
les rapports avec la langue dans l'écriture, comment "d'étrangère elle devient amie
et complice", et enfin une tentative d'analyse de "l'état bilingue, cet état de
flottement entre deux langues, entre deux cultures"... L'approche que nous propose
Aleksandra Kroh est donc d'aborder la question du bilinguisme non pas sous l'angle
d'un vécu bilingue depuis la naissance, ou d'une compétence technique dans deux
langues, mais bien comme la rencontre avec une autre langue (ici la langue française),
c'est-à-dire la rencontre avec "bien plus qu'un outil de communication"...
Anne LE BALLE
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D'ITALIE ET DE FRANCE - Récits de migrants en Dauphiné (1920-1960)
Yole Manzoni. Presses Universitaires de Grenoble. 2001. 202p
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L' ouvrage
est un recueil de souvenirs d'immigrés, réécrits par l'une d'entre eux, avec l'aide
d'une autre main. Il ne s'agit donc pas d'un document établi selon des règles
scientifiques mais cela n'interdit pas d'en tirer de suggestions intéressantes,
surtout grâce à l'homogénéité du principal groupe des interviewés : celui des
migrants issus des Alpes italiennes et notamment de la vallée de la province de
Bergame dont l'auteur est originaire.
Et d'abord ce rappel préliminaire : alors que l'image des Méridionaux, originaires
de Corato dans les Pouilles ou de Sicile, s'est imposée dans l'opinion publique
grenobloise comme emblématique de l'immigration italienne, ce sont en fait les
Italiens du Nord, dont tout particulièrement les Alpins qui en ont fourni l'apport
le plus important du XIXème à aujourd'hui, comme en témoignent d'autres travaux,
par exemple ceux de Madame Faidutti dans son ouvrage " L'immigration italienne dans
le Sud Est de la France " Ed. Ophrys 1964 et reproduites dans le numéro 95-96
(printemps 2001) d'Ecarts d'Identité consacré à l'immigration dans l'agglomération
de Grenoble. Et le livre de Madame Manzoni confirme que, jusqu'au tarissement de
cette immigration, leur courant s'est maintenu avec vigueur face à la vague méridionale
enflée depuis l'Entre deux guerres.
Autre trait souvent négligé et bien mis en valeur ici : l'extrême mobilité des jeunes,
non seulement du fait de leurs multiples allers et retours entre leur village et
leurs divers points de chute dans la région grenobloise (mais rarement dans le
Centre ville, contrairement aux originaires de la Botte), mais aussi de leurs
errances : elles les conduisent dans toute la France mais aussi en Suisse
(pays frontalier des Alpes bergamasques) voire au delà des mers. C'est
vers la trentaine seulement, après le mariage, que se produit une installation
définitive en Isère, sauf quelques retours en Italie lors de la seconde Guerre
mondiale ou après la retraite. La page de l'émigration temporaire des adultes
d'autrefois est chez nous définitivement tournée, alors qu'elle persiste en
Allemagne pour certains commerçants saisonniers issus des Dolomites.
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Mais l'intérêt majeur du livre réside sans doute dans la place qu'il réserve aux
itinéraires de travail des hommes, des métiers de la forêt au bâtiment et à l'usine,
souvent aussi à ceux des femmes. Ces itinéraires mettent en lumière le double effet
des besoins en main d'œuvre des pays d'immigration (souvent considérés trop
exclusivement depuis l'explosion industrielle des Trente Glorieuses) mais aussi
de la culture professionnelle des milieux d'origine. En particulier pour ces
Alpins, on saisit ici l'étroite filiation qui rattache leurs divers métiers du
XXème (à l'exclusion de ceux de l'usine) à la pluriactivité que pratiquaient,
comme tous les autres montagnards, leurs ancêtres de l'âge préindustriel, dans
leur vallée comme sur les chemins de leurs migrations saisonnières.
Plus précisément encore, le plan de l'ouvrage, ordonné par type de métier,
présente une double réalité :
· Il retrace des itinéraires individuels datant principalement de la dernière décennie de l'immigration, qui glissent avec l'âge d'un secteur professionnel à un autre.
· Il suggère la correspondance entre ces itinéraires individuels tardifs et les étapes professionnelles qu'ont collectivement parcourues les générations successives venues des Alpes italiennes travailler non seulement dans la région grenobloise mais dans l'ensemble des Alpes françaises.
D'une partie à l'autre de la Chaîne, le migrant est venu ainsi relayer souvent les
autochtones dans l'exploitation de la forêt, avant d'élargir et de banaliser son
histoire professionnelle et d'être rejoint par des compatriotes venus d'autres
régions italiennes, sans culture montagnarde ceux-là.
Précisément, l'ouvrage présente quelques témoignages de ces Toscans, Coratins ou
Siciliens, et même quelques portraits de " couples mixtes ". Mais le caractère
presque exceptionnel de ces unions témoigne de la forte individualité des
Bergamasques pour encore une ou deux générations. Grâce à Madame Manzoni
on en gardera le souvenir.
Yves GENET
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A noter : l'auteur présentera son ouvrage le mardi 14 mai à 18h à la Médiathèque Abbaye
1 rue Bajatière à GRENOBLE, avec la participation d'Yves Genêt.
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