N° 98
L'ISLAM EN FRANCE ET EN ALLEMAGNE - Identités et citoyennetés
Leveau R., Mohsen-Finan K., Wihtol de Wenden C. (sous la dir. de)
Ed. La Documentation française, Paris, 2001, 149 pages.
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La vision
de l'Islam et les tentatives de son institutionnalisation dépendent
largement des valeurs, des représentations et des constructions historiques de
l'idée de nation. Pour certains Etats, l'héritage colonial et sa gestion d'alors
de l'Islam et de ses pratiques continuent à peser sur leur présent quant à la
représentation qu'ils se font de l'Islam dans l'immigration. La sacralisation de
l'identité nationale au dépend de l'identité religieuse accentue l'extériorisation
des religions venant du Sud, pensées comme exogènes aux réalités historiques des
nations d'accueil.
La France tente, depuis quelques années, de naviguer entre les deux articles de
la loi de séparation des Eglises et de l'Etat (loi du 9 décembre 1905), où l'article 2
stipule que " l'Etat ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte ",
tandis que l'article premier dit que " la République garantit le libre exercice
des cultes ". C'est pourquoi, les précédents ministres de l'intérieur (donc du Culte)
ont bon an mal an essayé, à l'instar de l'Eglise, de doter l'Islam en France d'une
structure représentative qui puisse à la fois faire office d'interlocuteur des
pouvoirs publics et d'instance régulatrice de la " communauté musulmane " pour
arracher l'Islam aux influences étrangères, et oeuvrer ainsi pour un Islam modéré
" dissolvable dans la République ".
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Tâche difficile tant les rivalités de leadership
au sein de la communauté immigrée sont évidentes, et surtout parce qu l'Islam,
en France plus qu'en Allemagne, est traversé par des divisions nationales, ethniques,
linguistiques et socio-politiques.
En Allemagne, malgré quelques timides reconnaissances, l'Islam demeure une religion
d'étrangers (des Turcs principalement). Cette représentation de l'extériorité de l'Islam
fait qu'en Allemagne on préfère souvent en appeler au gouvernement turc quant à
l'organisation du culte musulman.
En France, plus qu'en Allemagne, les pouvoirs publics semblent aujourd'hui gagnés
à l'idée d'un Islam endogène, et par voie de conséquence, un Islam bénéficiant d'une
pleine reconnaissance dans l'espace public, à charge pour lui de s'aligner sur les
normes nationales qui dictent la régulation politique du religieux. Mais l'Islam en
France comme en Allemagne n'a pas accompagné la construction nationale qui fait que
le Christianisme, parce que religion naturelle ancrée dans la culture, imprègne
jusqu'au droit des religions. D'où le mimétisme demandé à l'Islam pour s' " acculturer "
à la religion dominante.
Achour OUAMARA
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LES FANTOMES DU 17 OCTOBRE
Linda Amiri, Ed. Mémoires Génériques, 2001, 198 p.
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L
e 5 Octobre 1961, le Préfet de Police Maurice Papon, impose le couvre-feu à tous
les Algériens de Paris et de sa région. Le soir du 17 octobre 1961, des milliers
d'Algériens convergent , en famille, vers la capitale pour protester pacifiquement
contre cette mesure discriminatoire. Mais "très vite les coups pleuvent,
la bête hideuse du racisme est lâchée et rien ne va pouvoir l'enrayer".
Sur cette sombre page de l'histoire de France, très vite la dénégation
officielle est tombée, condamnant "la chose" au silence et à l'oubli et le
travail des historiens à des parcours d'obstacle pour lever les voiles sur
la vérité.
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Linda Amiri, après d'autres, vient enrichir la connaissance historique de ce
dossier, à partir des archives inédites de la Fédération de France du FLN, de
la préfecture de police de Paris et de la Cimade.
Un grand pas vers la pleine reconnaissance de ce drame qui reste comme une épine
dans la mémoire des Franco-algériens.
Abdellatif CHAOUITE
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CHRONIQUE D'UN DISCOURS SCHIZOPHRENE
- Récit d'une psychanalyse sans divan, de Néjia Zemni, Ed. L'Harmattan, 1999, 194 p.
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Cette
chronique nous faire vivre une thérapie longue de plusieurs années et nous
donne à entendre la relation entre un soignant et son patient, et son inscription
dans le contexte de la Tunisie de la fin des années 70 aux années 80. L'auteur --
psychothérapeute et psychanalyste de son état -- introduit son propos en plantant
un décor fait d'échos et de résonnances des débats sur la psychiatrie tels qu'ils
se tiennent en Europe à cette période et, ce faisant, pointe toute la proximité
culturelle entre les deux rives de la Méditerranée et le décalage avec la réalité
tunisienne. Cette tension, au sens dynamique, entre horizon théorique, avec ce
rapport enchevêtré avec l'Europe, et les conditions pratiques, et plus largement,
avec le contexte, se joue d'une certaine manière en permanence. C'est un " suivi "
dans la découverte de la souffrance, du parcours chaotique du souffrant, et du
paysage hospitalier. Un paysage fait et traversé par les positionnements hiérarchiques
et donc par les enjeux théorico-pratiques. Le souci de soigner ne prime pas toujours.
Et l'expression des difficultés du souffrant, ses demandes sont aussi reçus sous cet
angle, celui d'une inscription du patient dans un traitement et une organisation
voulues par le médecin-chef et confortant son pouvoir.
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La thérapie qui se met en
place, qui noue le thérapeute à son patient, justement s'instaure pour partie par
des passages à l'hôpital mais aussi et surtout par une relation hors les murs qui
nous amène tour à tour à Carthage et à Sidi-Bou-Saïd, et au sein de la famille du
patient. On suit ainsi un cheminement jamais complètement linéaire, fait d'irruption
de la parole et de longues absences de plus de 11 ans. On entrevoit par à-coups toute
une histoire du patient, et par esquisses, celle d'un milieu familial. On découvre
cet arrière-fond, une famille tunisienne, ses difficultés et ses profonds bouleversements
qui prennent place dans ce parcours analytique, dont la narration est fluide, avec
une langue qui ne s'encombre guère de propos de spécialiste mais qui s'enrichit
de quelques renvois théoriques.
Ce récit se poursuit aujourd'hui, mais hors de l'écrit, en se traduisant
autrement en Tunisie où il a pris la forme d'une pièce de théâtre -- mise
en scène par Fadhel Jaibi et dont le titre est Jounoun -- qu'on espère voir
un jour en France.
Abdelhafid HAMMOUCHE
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CONSTRUIRE L'INTERCULTUREL ? De la notion aux pratiques
Roselyne de Villanova, Marie-Antoinette Hily, Gabrielle Varro
Ed. L'Harmattan, 2001, 375 p
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L
a forme interrogative du titre est importante, car il ne suffit pas de faire le
constat d'une interculturalité de la société -- cela, pourrait-on dire, la
performation du langage s'en est chargé (l'interculturel "a incontestablement
marqué le dernier tiers du vingtième siècle") -- mais de scruter en quoi consiste
son "impact dans la vie sociale", quels "enjeux" il sous-tend, et quels rapports
sociaux...
L'ouvrage qui réunit ici les textes issus du VIIe congrès international de
l'ARIC (1999) emprunte un certain nombre de "détours" pour "construire" le
chantier de travail de l'interculturel : le détour des variations des regards
disciplinaires, le détour des concepts "à risque" qui jalonnent le processus
d'interculturation de la société comme des noyaux résistants, le détour, dans
le sens inverse, des "traces" de cet interculturel, de sa productivité spécifique
et du renouvellement même de la conceptualité qu'ouvrent ces traces (métissage,
hybridation...)...
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Ces détours permettent de visiter les parties du chantier qui
ont déjà pris forme -- sur le plan notamment artistique et relationnel -- et par
là même permettent de mesurer combien l'édifice interculturel, de l'avis des
signataires de l'ouvrage, est inachevé voire n'est encore qu'un "idéal". Nous
sommes encore au stade de la "rencontre", du "biculturel", mais non de
l'interculturel...
Cet ouvrage à entrées multiples -- comme le chantier dont il traite --
fourmille d'analyses, d'idées, d'éclairages, qui sont autant d'acquis pour
tout un chacun qui de par sa pratique ou son vécu est attentif à ce sillage
qui transforme insensiblement notre environnement.
Abdellatif CHAOUITE
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METISSAGES - de Arcimboldo à Zombi
François Laplantine et Alexis Nouss. Ed. Pauvert 2001, 633 p.
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Comme
le signalent les auteurs dès la préface, le métissage est aujourd'hui à la mode. Et comme nombre de notions ou de concepts à la mode (n'en est-il pas de même pour la médiation par exemple ?), "on le met à toutes les sauces"... Ainsi, le métissage est "presque toujours systématiquement confondu avec les notions (...) de mélange, de mixité, d'hybridité, voire de syncrétisme".
Ce que cet ouvrage se propose d'aborder est tout autre. Il nous emmène au-delà du métissage compris dans son sens biologique, vers un nouveau regard... Le métissage est ainsi entendu comme une pensée, une expérience, qui serait celle de la rencontre, du lien, de la transformation. Ainsi, une de ses leçons est que "rien n'est achevé" car le métissage est mouvement, perpétuellement en devenir.
Bien plus qu'un dictionnaire, c'est un foisonnement d'idées neuves, et au-delà de chaque mot proposé, en une alternance de notions, illustrations, personnages, ..., une invitation au déplacement.
Le métissage suppose de sortir d'une pensée de la complétude et de la totalité. Ainsi, la pensée du métissage propose une troisième voie, une alternative à la pensée binaire homogène/hétérogène, fusion/fragmentation, totalité/différence. Il est cette ligne de tension qui s'inscrit entre l'universel et le singulier.
Dans une perspective socio-anthropologique, la pensée du métissage propose une alternative à la fragmentation du communautarisme d'une part, et la fusion de l'assimilation d'autre part, car son propos est de "reconnaître la mouvance, l'instabilité des cultures et des identités culturelles". Dans une époque qui ne cesse de parler de mondialisation, celle qui intéresse le métissage est celle qui devrait permettre "la rencontre des communautés, des cultures, des individus et accélérer l'exposition à l'altérité qui nous apprendrait à la reconnaître en nous-mêmes".
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Le métissage serait donc ce moment fugace où je ne suis plus avec l'autre dans une relation d'étranger, mais où il commence à apparaître de "l'étrangeté", en nous et entre nous. S'ouvrir à l'étranger en soi pour s'ouvrir à l'autre... Le métissage est le contraire du repli sur soi. Il est relation, et accueil, voire hospitalité de l'altérité. Il est aussi une invitation à transformer l'expression sartrienne sur l'existentialisme : "le métissage est un humanisme".
La pensée du métissage serait-elle une nouvelle philosophie, une nouvelle sagesse ? Le graphisme de la couverture de l'ouvrage dont les deux S superposés peuvent aussi bien inviter à une lecture de "Métis-ages" (âges), que de "Métis-sages" peut poser la question... Serait-il sage d'entrer dans un âge métis ? Oui... et non ! Car le métissage n'est pas sage !
Une des questions à laquelle cet ouvrage peut nous ouvrir est celle de l'inscription de la pensée du métissage dans l'espace public. Car si le métissage est un processus de transformation individuel, "par le bas" (Michel Wieviorka, 2001), est-il possible de le traduire en termes institutionnels, en termes de réponses politiques ? Est-ce souhaitable ? La réflexion et le débat sont ouverts...
Ainsi, dans des temps troublés et dominés par une logique binaire du bien et du mal profondément inhumaine et destructrice, cet ouvrage prolonge magnifiquement le premier ouvrage "Le Métissage" de François Laplantine et Alexis Nouss (Flammarion, 1997).
Il est "un voyage sans guide ni carte, (qui) nous invite, par le biais de l'anthropologie, de la littérature, du cinéma, de la musique, de l'architecture, de la philosophie, de la géographie, à traverser les territoires des langues et des peuples avec pour fil conducteur le devenir métis. Voir le monde comme métis et le métissage comme un monde"...
En résumé (mais le métissage ne se résume pas...), cet ouvrage nous offre de nouveaux horizons de pensée. Mais c'est aussi une grande bouffée d'air (non pas d'air pur, l'air est assurément métis !), et d'espoir...
Anne LE BALLE
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LA SOCIETE INTERCULTURELLE, vivre la diversité humaine
Gilles Verbunt. Ed. Seuil, 2001, 280 p
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Gilles
Verbunt expose dans cet ouvrage et à travers divers exemples les moyens de parvenir
à une entente interculturelle. Il explique ce qui constitue les différences dans la
société multiculturelle dans laquelle nous vivons et tente d'apporter des éléments de
réponses. Pour que la rencontre des individus soit réalisable et surtout pour qu'elle
soit maintenue dans un échange réciproque et d'interdépendance, l'action interculturelle
doit se prémunir de réelles motivations individuelles fondées sur le bien-être et
l'harmonie entre les peuples. Mais la motivation n'agissant pas seule, il est
primordial de mettre en œuvre et d'organiser un véritable terrain d'entente favorable
au processus d'une rencontre positive. En ce sens, Gilles Verbunt préconise la mise
en application de nos qualités humaines telles que l'empathie, l'écoute, la curiosité,
l'assertivité. Pour l'auteur, nous devons aussi prendre conscience de nos stéréotypes,
de nos préjugés afin de les travailler dans la perspective d'une meilleure rencontre
avec l'autre. L'interculturel, pour lui, c'est aussi surmonter le passage obligé des
paradoxes, des oppositions que les rencontres inattendues imposent.
Ce livre présente un débat sur la manière d'appréhender l'interculturel et les risques
encourus de vouloir l'occulter, le nier. En France, le modèle républicain actuel n'admet
pas la reconnaissance minoritaire, les particularismes au nom des valeurs laïques et de
l'égalité de tous devant la loi. Dans cette perspective, ce livre devient un véritable
outil pédagogique qui peut intéresser aussi bien les universitaires, les enseignants,
que les acteurs du champ social (éducateurs, formateurs, psychologues, ...) .
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Il
s'adresse à tous ceux qui souhaitent mieux comprendre les questions qui tournent
autour de l'interculturel, de la différence ethnique et de la mixité. La dynamique
interculturelle s'épanouit à travers toute la complexité des systèmes de valeurs
qui répondent à des références sociales, religieuses, culturelles, politiques, et
historiques multiples. C'est la raison pour laquelle Gilles Verbunt propose un large
état des lieux où toutes ces dimensions agissent dans nos démarches quotidiennes.
Il préconise notamment dans un souci pédagogique, " la compétence interculturelle "
qui vise alors la démarche éducative essentielle pour les acteurs du social.
Il insiste aussi sur la démarche professionnelle qui doit se prémunir de savoirs
théoriques nécessaires dans l'apprentissage de l'approche interculturelle.
De même, il explique de manière pragmatique et illustrative l'interculturel, ses
enjeux sociaux, ses limites et ses richesses.
On peut cependant formuler une réserve quant à sa manière d'envisager le phénomène
interculturel. Si pour l'auteur l'interculturel ne s'est pas encore réalisé au sein
d'une nation et ne peut coexister avec les pratiques discriminatoires, alors
l'interculturel a peu de chance de s'établir dans les sociétés actuelles. Ceci
dit, ce livre ouvre un réel débat sur le fait et le devenir interculturel. Ainsi,
il a le mérite de poser des questions rigoureuses, en apportant des pistes d'analyse
et de réflexion intéressantes pour garantir une véritable pratique interculturelle
dans nos conduites quotidiennes et nos perspectives d'avenir.
Nadia ALIDRA
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Y'A TROP D'ETRANGERS DANS LE MONDE
Petit fasicule illustré du racisme ordinaire
par Dédé, Lèbre, et Véesse, en quête d'éditeur..., 116 p.
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116 pages grinçantes de dessins humoristiques, illustrant les thèmes tels que : le racisme ordinaire, les institutions, la vie quotidienne, l'école, le travail... Une perle parmi d'autres...sans le principal (le dessin !) : Un monsieur entre dans une bibliothèque et demande: "Je cherche la déclaration universelle des Droits de l'Homme"... Et la bibliothécaire de répondre : "Rayon humour"...!
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Ces dessins sont aussi diffusés sous forme d'exposition que les auteurs proposent aux structures intéressées. Au fait, ces trois gais lurons sont aussi en quête d'éditeur... Alors avis à la population ! (Contact : Vincent Scherrer - 3 rue de l'Hiver 68460 Lutterbach).
Anne LE BALLE
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