N° 97


LE PROCESSUS D'ACCULTURATION DES JUIFS D'ALGERIE
Jean-Jacques Deldyck, CIEMI-L'Harmattan, 2000, 196 p

    Il faut rappeler la place particulière que les Juifs d'Algérie occupaient dans la société coloniale globale : population intermédiaire entre les dominés arabo-musulmans et les dominants franco-européens. Est-ce que leurs traits culturels spécifiques furent des freins et des obstacles à l'intégration ? L'ingénierie raciale en est convaincue quand il s'agit principalement des Musulmans de France. Les Juifs d'Algérie offrent à cet égard un exemple heuristique pour comprendre les processus d'intégration et d'acculturation de cette population, et confirmer, s'il en est, qu'il n'y a pas d'irréductibilité de la culture d'origine pour peu qu'elle procède à quelques réinterprétations religieuses. Pour le démontrer, l'auteur étudie trois types de réinterprétation religieuse chez les Juifs d'Algérie : 1) la réinterprétation religieuse othodoxe; 2) la réinterprétation laïque; 3) la réinterprétatioon religieuse laïque. Chaque réinterprétation est analysée à travers cinq volets : 1) l'héritage familial; 2) la scolarité et l'activité professionnelle; 3) le système relationnel; 4) la venue en France; 5) la transmission inter-générationnelle.

    Tout est question de réinterprétation. La réinterprétation orthodoxe regroupe les Juifs qui optent pour la désinsertion volontaire et symbolique, culturelle et morale, par rapport à la société coloniale. Si la réussite scolaire leur permet de convertir leur infériorité raciale et sociale en supériorité scolaire et intellectuelle, il reste que les études sont soumises à la lumière des exigences religieuses. Leur intégration à la société française d'alors s'est effectuée par le biais de leur intégration à une communauté religieuse pour laquelle leur identité culturelle juive mais aussi profane reste déterminante. Le savoir profane n'étant pas une valeur en soi, c'est dans le religieux que s'inscrit la réussite. Paradoxalement, ce détachement des valeurs spécifiques des sociétés contemporaines permit la réalisation de leur intégration.

    La deuxième interprétation, laïque, concerne les Juifs d'origine espagnole, distincts des Arabo-musulmans et des Juifs indigènes. Ils optent volontairement pour la langue française sans se soucier de la transmission de la langue maternelle. Contrairement aux othodoxes, ces Juifs s'ouvriront aux populations d'origine européenne. Bien plus, la réinterprétation laïque est perçue comme positive et enrichissante. D'où leur investissement dans le champ artistique et scientifique qui leur permet le transfert du caractère sacré du religieux vers la culture profane, avec quelques accommodements en matière religieuse (porc, fêtes…), mais qui restent superficiels, la forme plus que le fond.

    La troisième réinterprétation, religieuse laïque, concerne les Juifs qu'on peut situer entre les deux précédentes populations. La participation communautaire devenait un facteur déterminant dans le processus de sécularisation en valorisant les activités développées dans le cadre de la société laïque, comme si leur laïcité se nourrissait de la vie communautaire et vice-versa. L'observation religieuse reste minimum, par conformisme, sans la lettre ni l'esprit. Ainsi, la judaïcité algérienne permet d'observer un processus d'acculturation dans le cadre d'une intégration dite "réussie", lors que la culture de cette population se trouvait fort éloignée de la société moderne franco-occidentale. Comparaison n'est pas raison, mais on peut autant dire des Musulmans de France qui réinterprètent l'Islam à la lumière de la laïcité comme la laïcité à la lumière de l'Islam, loin du sempiternel rappel à l'ordre intégrateur.



Achour OUAMARA




L'EMIGRE ET LA MORT
Yassine Chaïb, Edisud, 2000, 255 p.


    La mort attriste. Celle de l'immigré dérange. Le projet du retour depuis longtemps enterré, c'est mort qu'il s'en retourne. Mal-né, mal-mort. La mort est le flagrant échec du projet migratoire. L'appréhension du mourir des immigrés dans la société d'accueil est des plus pathétiques. Comment meurt-il ? Comment et où s'inhume-t-il ? Et les sépultures brinquebalant dans les aéroports ? Marchandise au travail, le marché de la mort le rattrape, et la concurrence y est aussi rude qu'acharnée sacrifiant souvent l'éthique religieuse à l'implacable économie de la mort. La mort frappe l'immigré avant l'heure : violence, suicide, accidents de travail, interminables maladies produits de la condition migratoire. Et quand l'heure vient sans crier gare, se pose le lieu de la sépulture, le mode d'inhumation qui ne tarit pas d'innovations funéraires. Si la religion du sol appelle le lieu de sépulture afin de partager la mort avec les siens (aïeux), signe de réconciliation avec la communauté indissociable de la terre natale, le lieu de résidence réclame aussi sa sépulture (mariage mixte, enfants vivant en France…) qui ne sait à quelle terre se vouer.


Sans doute la multiplication des carrés de cimetières est l'ultime sens donné à la migration pour éviter un retour post-mortem. Et quand c'est le cas, on surenchérit sur le mode d'inhumation comme pour se racheter d'une immigration sans terme. Il faut dire que le rapatriement des corps ressemble à un déménagement funéraire. Les formalités administratives sont lourdes : subir les soins thanatopraxiques (pour retarder le processus de décomposition du corps) exigés pour le curriculum mortis. Le laissez-passer mortuaire est aussi compliqué qu'une délivrance de carte de séjour. Le rapatriement des sépultures transforme les aéroports en aérocorps, à l'exemple de l'aéroport de Marseille devenu, de ce fait, la plus grande mosquée de France avec ses images de valises et de cercueils qui s'entrechoquent dans la même soute à bagages, où le défunt se dénude de son seul bien : la parure de la bière. En somme, si partir c'est mourir un peu, pour l'immigré, mourir c'est se départir de l'immigration crasse, avec la rage dans l'âme ou peut-être … la paix de l'âme ?

A.O.




LA DIFFERENCE CULTURELLE, une reformulation des débats
Wieviorka M, Ohana J. (sous la dir. De), Balland, 2001, 473 p


    Comment réconcilier la République et la Démocratie ? Les contributions présentées à un colloque, reproduites dans cet ouvrage sous l'appellation "la différence culturelle", s'inscrivent dans la polémique entre Républicains et Démocrates, où ces derniers restent ouverts à la reconnaissance de la différence culturelle dans l'espace public, lors que les premiers placent l'égalité au-dessus de toute différence. Pour les Démocrates, les inégalités socio-économiques ne suffisent pas à expliquer la "mer des différences", d'autant qu'il n'y a pas de différence sans inégalité. Ce sont tous ces groupes de par le monde, différents et égaux dans leur souffrance, qui sont ici étudiés, de la Bosnie au Mapuche d'Amérique Latine, et ce sous plusieurs angles : identité et différence, production et reproduction de la différence, mémoire et identité politique, identité dans l'espace, multiculturalisme, altérités frontalières, populations transnationales.

Il en ressort qu'il n'y a pas de différence neutre. On peut par ailleurs être soumis aux deux injustices : culturelle et socio-économique, d'où la contradiction entre les deux paradigmes : le paradigme distributif (socio-économique) et le paradigme de la reconnaissance culturelle, l'inégalité se transformant en différence et vice-versa. Du reste, le principe d'égalité, quel qu'il soit, repose sur la référence à un principe métasocial de représentations, alors que la logique du social exclut l'égalité. Que faire ? Les expériences outre-atlantiques sur la discrimination positive (affirmative action) révèle qu'elle n'avantage pas les catégories les plus pauvres. L'opposition de ces deux paradigmes s'avérant stérile, il reste à changer de narrations sociales et œuvrer pour une conception interactive de la culture face à la prétention hégémonique du monoculturalisme drapé dans l'alibi de l'universel éthéré, sans perdre de vue que nous vivons dans "un monde où tous sont égaux mais où certains le sont plus que les autres" (G. Orwell).

A.O.




EUROPE, TERRE D'IMMIGRATION - Flux migratoires et intégration
Jacques Barou, P.U.G. 2001, 175 p


    L'Europe, terre d'immigration ou/et l'Europe à l'épreuve de l'immigration : les immigrés ne font pas qu'être immigrés en Europe, ils participent à l'élaboration de la prise de conscience de son unité, de ses valeurs, de son identité. En cela, ils en sont l'épreuve par la tension créée entre les héritages des pratiques historiques nationales et l'engagement encore hésitant qui va dans le sens d'une "communautarisation" de la politique d'immigration (traité d'Amsterdam 1997). De la même manière donc que l'immigration, au-delà de son instrumentalisation, a toujours interrogé le mode de construction des identités nationales, elle interroge aujourd'hui le mode de construction de l'identité européenne. Ce, d'autant plus que cette Europe se construit dans (on pourrait dire par) le manque démographique, de compétences... qui repose à nouveau la question du recours à l'immigration comme solution. Mais est-ce si simple ? Le monde hors-Europe a aussi changé, il n'est plus un simple réservoir de main d'oeuvre dans lequel les recruteurs peuvent puiser et sélectionner au gré des besoins du marché, les profils des candidats à l'immigration ne sont plus les mêmes qu'avant, ni leurs motivations, ni leur conscience des rapports aux identités nationales et extra-nationales...

De ce fait même, ils sont plus rebelles à l'instrumentalisation et imposent la prise en compte d'autres dimensions dans les processus migratoires d'aujourd'hui : droits de l'Homme, remise en question des logiques frontalières... L'Europe, c'est donc aussi une dynamique, une promesse qui devrait ouvrir sur la définition d'un "autre cap", d'un autre type de citoyenneté.

    En attendant, dans l'aujourd'hui de cette Europe, rien n'est moins sûr nous dit J. Barou : "Personne ne peut dire aujourd'hui de façon précise en quoi consistera concrètement cette citoyenneté européenne, ni en quoi elle modifiera les relations entre citoyens européens et immigrés. La citoyenneté européenne, qui existe aujourd'hui... a plutôt creusé l'écart, dans chaque pays entre la situation des étrangers communautaires et celle des étrangers non- communautaires". Il faut donc partir et s'armer de l'analyse de cet existant fait à la fois de la diversité des expériences nationales et de la pression des évolutions sociologiques qui imposent des rapprochements. C'est ce que l'auteur fait dans ce livre avec, comme à son habitude, clarté, concision et souci éthique

Abdellatif CHAOUITE




ETAT, NATION, ET IMMIGRATION
Gérard Noiriel. Paris, Ed. Belin, 2001


    "L'immigration est devenue un domaine à part entière de l'historiographie française." Ceci doit entre autres à Gérard Noiriel. Et ce n'est pas le moindre intérêt de ce livre, recueil d'articles et conférences, que d'en faire le rappel et la trace : donner à l'immigration sa dignité et sa légitimité comme objet et champ d'étude historique. Et ce, d'autant plus que l'étude historique de l'immigration est une entrée fondamentale pour la compréhension des processus d'intégration des classes populaires à l'Etat-nation. Les immigrés ont été dans ce processus aussi bien le chainon indispensable dans le virage industriel de la France et la régulation de son marché de l'emploi que le chainon non pas manquant mais exclu --comme réalité sociale par rabattement sur les individus et comme représentation politique-- dans l'élaboration du concept moderne de nation... Dans ce concept, "les "jeunes d'origine immigrée" n'existent pas" non plus.

Non pas dans leur réalité sociale bien sûr, mais dans la catégorisation de la tradition de la nation qui n'admet pas de "catégorie intermédiaire" entre les citoyens et les étrangers. Jusqu'à ce que, selon l'auteur, les processus de discrimination et "l'aide sociale" les désignent et, par là-même, les fassent exister...

L'immigration n'est cependant pas la seule question objet de la socio-histoire que défend ici l'auteur. Deux types d'enjeux sont en fait abordés et tissent la trame du livre : "le premier est d'ordre historiographique et s'inscrit dans le débat sur la "crise" de l'histoire sociale. Le second est d'ordre empirique. Il concerne l'analyse des grandes mutations qui ont affecté les sociétés contemporaines." Des thèses qui font débat et c'est l'intérêt-même de ce recueil

A.C.
~ Ecarts d'identité N° 97:~ Immigration, mon humour - Automne 2001

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