N° 94


LES INDESIRABLES, l'intégration à la française
Jean Faber, Ed. Grasset, 2000, 270 p.

    A l'heure où les discours sur l'immigration et l'intégration semblent se contenir dans deux points de fuite : celui de l'enlisement dans des complaintes sur l'échec de "l'intégration à la française" d'une part et celui des sirènes appelant à de nouvelles immigrations de travail d'aure part, le livre de J. Faber surgit comme un "lapsus". Entendons ici lapsus au sens de la révélation du non-dit voire du non-su. Cet aspect lapsus ressort, outre du contenu, de la personnalité même de l'auteur : haut fonctionnaire, ayant dirigé l'organisme en avant-poste sur l'intégration. C'est probablement ce côté "discours en écart", inattendu, issu de l'intérieur même du discours "officiel" qui vient sursignifier le contenu.


    De quoi s'agit-il ? D'abord d'un titre qui ne fait pas dans l'euphémisme : Les indésirables, sur fond d'une couverture noire et grise où l'on voit un "immigré" (forcément un maghrébin entre 50 et 60 ans) rasant le mur, à contre-courant du sens indiqué par les flèches derrière lui. Tout le montage de la couverture semble suggérer la lecture du titre et sous-titre ainsi : L'intégration à la française, une machine à fabriquer des indésirables. De quoi donc en offusquer plus d'un et beaucoup ont dû l'être. Et pour cause : le "lapsus" vient faire comprendre d'un coup que ceux qu'on appelle les "immigrés" (les vrais : maghrébins, musulmans, anciens colonisés...) sont moins inintégrables comme on aime à le laisser entendre qu'indésirables. Cela change toute la donne représentationnelle bien sûr...
    Il s'agit ensuite d'un style. Un style scalpel, précis, un style de haute fonction qui dépare de ceux référentiels dans ce champ. On peut regretter son apparente impassibilité mais il en affleure une sorte de colère froide qui en dit long sur le positionnement de l'auteur.

    L'apport le plus important après ce constat du "désastre", est sans doute dans le type d'analyse de la racine du mal. Souvent les analyses dans ce champ restent en effet focalisées sur les processus de ce qu'on appelle intégration ; là, l'auteur inverse le regard et le fait porter sur les cadres qui doivent contenir et favoriser ces processus. Qu'en ressort-il ? Deux constats terribles là encore : des structures administratives "faibles, dépourvues de moyens, dénuées de missions claires" et un transfert, non fondé politiquement, de l'intégration sur le secteur associatif et non accompagné convenablement sur le plan financier.

Certes, ce n'est pas nouveau, les administrations comme les associations le signifient elles-mêmes de différentes manières. Ce qui l'est par contre c'est de sortir cet état de fait (un cadre et des moyens dérisoires) des justifications métaphysiques (chacun pour soi et l'intégration est le fait de tous) et de le poser comme le signe d'une absence de politique conséquente et cohérente...

    Pour le reste, c'est-à-dire pour l'essentiel que nous laisserons au lecteur le loisir d'apprécier, indiquons seulement que l'auteur nomme d'abord ce champ de l'intégration à la française "un désastre" dont il déploie l'étendue sous le signe "d'une double méprise" : la place d'une politique concrète de l'intégration a été obstruée par une sorte de discours-écran sur l'immigration et la République et, "lorsque les réalités sociales sont venues accuser cette incurie", les réponses ont consisté en préjugés et "généralités absurdes... chaque jour démenties par les faits". Il y va d'une responsabilité collective qui n'a pas su éviter les facilités des faux-fuyants face à la tâche que demande l'intégration.

    Alors "que faire ?" L'auteur ne contourne pas cette inévitable question. Bien au contraire, il la prend à bras-le-corps, il propose, défend, ouvre des pistes à partir de deux positions fondamentales : d'abord "fonder une politique" qui puisse dégager l'oeuvre de l'intégration du bricolage à court terme. Ensuite, forger des outils et méthodes qui ressortent d'un "pragmatisme agissant" et efficace. Cela va du "c'est un ministre de l'Intégration qu'il nous faut : un vrai" à "accorder les moyens financiers à la réalité"...

    Dans l'ensemble, on peut, après lecture de cet essai, se sentir révolté, rester sceptique ou adhérer, mais surement pas indifférent. Là est sans doute d'abord sa force et le sens même du "lapsus" qu'il est : les indésirables auraient-ils réussi à forcer la citadelle qui les maintient dans l'exil ?...




Abdellatif CHAOUITE




NOMS ET RENOMS - La dénomination des personnes, des populations, des langues et des territoires
Salih AKIN (ss dir.). Publications de l'Université de Rouen, CNRS, Coll. Dyalang, 1999, 288 p.

     Llanfairpwllgwyngyllgogerychwr-yndrobwllllantysiliogogoch : tel est l'ex-nom d'un village de l'île britannique d'Anglesey. Ce nom peut prêter à sourire. Mais la dénomination est chose sérieuse pour s'en arrêter là. C'est précisément tout l'apport de cet ouvrage qui s'attèle à l'onomastique (science des noms propres) avec ses multiples branches ayant trait aux noms propres des lieux géographiques (toponymie), des populations (ethnonymie), des personnes (anthroponymie), et des langues (glottonymie). Les processus dénominatifs peuvent mobiliser la néologie (mise en circulation de nouvelles dénominations), la revalorisation d'anciennes dénominations, ou l'adaptation d'anciennes dénominations aux normes linguistiques, politiques et sociales. On comprend dès lors que la dénomination est un outil de reconstruction permanente du réel où se fourbissent des stratégies de résistance linguistique face aux fourches caudines de l'assignation identitaire souvent imposées arbitrairement par les institutions, étant entendu que les mots du pouvoir nommant consacrent le pouvoir des mots.

    (Dé)nommer, de part la force conative de la(dé)nomination, c'est de facto désigner notre rapport à l'objet nommé (peuple, territoire, personne..), en donner un point de vue, et surtout prendre position à l'égard d'autres dénominations. Dans ce jeu de luttes, la performativité des noms propres dépasse leur stricte fonction référentielle.


    L'analyse du discours nous a enseigné que les mots prennent leurs sens dans le jeu de leurs emplois (intra et inter-discursifs) déterminés par les conditions de production et de possibilité du discours. Il en va des noms communs comme des noms propres. Le langage étant aussi un terreau des luttes sociales, l'auto et l'alter-dénomination devient arme et enjeu d'appropriation et de réappropriation identitaire dans une sorte de guerre civile des mots (ici des noms propres). L'ouvrage regorge d'exemples de ces luttes de reconquête identitaire à travers la (re)dénomination (du Kurdistan jusqu'en Acadie).

    Ajouter, supprimer ou remplacer des noms propres participe d'une lutte autour de la (dés)identification, à l'exemple des ces odonymes (noms des rues) objets de controverses politiques : Le Front-National a remplacé à Vitrolles l'avenue Jean-Marie Tjibaou en Avenue Jean-Pierre Stirbois, ex-sécrétaire général du même mouvement, comme à Téhéran, le Parc Français-persan renommé en Parc Khaled Eslamboli, l'assassin du Président Sadate. Edifiant, non ?

    

Achour OUAMARA




LA MEDIATION DE L'ETRANGER, une sociolinguistique de la traduction
Jean Peeters, Ed. Artois Presses Université, 1999, 368 p.


     Les nouvelles approches de la traduction, avec par exemple la naissance de la traductologie, ont permis de relativiser l'approche linguistique, et de replacer la traduction dans sa dimension fontamentalement anthropologique. Elle apparaît ainsi comme un acte fondamentalement humain plus que technique. A ce titre, la traduction n'est plus la seule préoccupation de la linguistique ou des sciences du langage, mais aussi des sciences humaines et sociales.

    Replaçant la traduction dans l'ensemble des interlocutions, et considérant qu'à ce titre elle peut être explicable par les mêmes principes, l'auteur nous propose un modèle d'analyse basé sur la théorie de la médiation de Jean Gagnepain. Son propos est de démontrer que "ce qui institue la traduction est fondamentalement d'ordre social, et n'est d'ordre linguistique que par contrecoup".

    La théorie de la médiation de Jean Gagnepain vise à expliquer ce qui fait la spécificité du comportement ou du fonctionnement humain, que cela se manifeste dans le langage, l'écriture, ... En d'autres termes, comment l'homme médiatise son rapport au monde (d'où le terme "médiation") à travers quatre types de rationnalités : le "Signe", l' "Outil", la "Personne", et la "Norme". L'objectif est donc de démontrer que la traduction ne constitue pas un fonctionnement autonome mais en implique plusieurs.

    Il s'avère cependant nécessaire, pour éviter toute confusion, de distinguer la théorie de la médiation de Jean Gagnepain des théories développées par exemple par Jean-Pierre Bonafé-Schmitt, Michèle Guillaume-Hofnung ou Jean-François Six, pour ne citer qu'eux, développant une approche fondamentalement ternaire de la médiation, et favorisant un "agir communicationnel" (Habermas) contre une rationnalité instrumentale. La théorie de J. Gagnepain est, pour sa part, ancrée dans la notion de dialectique, et donc dans une dimension binaire. Ainsi, il énonce la "bi-axialité" et la "bi-facialité"de la médiation...

    Au demeurant, on ne pourra qu'apprécier l'intérêt d'une analyse illustrant comment la traduction peut être autant un lieu d'accueil qu'un lieu de rejet de l'étranger, de l'altérité, et donc comment elle est un lieu fondamental de la rencontre interculturelle

    





Anne LE BALLE




LE LIVRE BLANC DES TRAVAILLEURS IMMIGRES DES FOYERS
Du non-droit au droit.
Michel FIEVET. L'Harmattan-CIEMI 1999. 272 p.


    Voilà une publication dont on ne peut que se réjouir. Ceci pour plusieurs raisons. D'abord parce que les ouvrages d'ensemble qui traitent des foyers sont peu nombreux voire inexistants. En attendant la publication de la thèse de Marc Bernardot sur la politique de logement de la SONACOTRA, le livre de Michel Fiévet vient combler un vide assourdissant. Ensuite parce que ce livre est un livre militant co-rédigé collectivement entre Michel Fiévet et le Collectif Pour l'Avenir des Foyers (COPAF). Le sociologue apporte à l'ouvrage le sérieux et la rigueur que nous lui connaissons et le COPAF apporte quant à lui des propositions issues de toute une action et une démarche collective.

    Les six premiers chapitres, soit une grosse moitié du livre, sont consacrés à l'histoire des foyers de travailleurs migrants. Après l'évocation des parcours migratoires et du contexte des politiques migratoires des Trente glorieuses, un gros chapitre est consacré à l'origine et l'organisation des foyers. L'auteur aborde ensuite l'apparition des foyers " nouvelle génération " qui sont créés entre 1964 et 1970, présente la politisation de la question de l'immigration entre 1972 et 1980 et analyse la lutte des " SONACO " terme générique servant à désigner les immigrés en lutte dans les années 1975-1980.Ces quatre chapitres mettent en lumière une histoire souvent méconnue et ont le mérite de puiser à des sources diverses et bien documentées ainsi que celui de donner la parole, sous forme de petits interviews, à des résidents. Le parti pris et le style militant du propos en agacera plus d'un mais la lecture en est stimulante. Un chapitre est ensuite consacré aux années 1981-1995, " années d'espoirs, années de désenchantement ".

    Voilà pour l'histoire. A partir du chapitre VI, les auteurs nous font entrer dans le vif d'un sujet qui leur tient particulièrement à cœur : le rapport Cuq sur la situation et le devenir des foyers de travailleurs migrants (1996), et sa dénonciation du " communautarisme africain ". Il s'en suit une descente en flèche et argumentée dudit rapport.

    Le dernier chapitre porte sur les propositions du COPAF. Il y a beaucoup de propositions avec lesquelles on ne peut être qu'en accord : l'habitat intégré à la cité, l'obtention sans discrimination des droits, le foyer comme lieu de rencontres interculturelles et pôles d'associations dynamiques. C'est en ce qui concerne l'appréciation sur la transformation des foyers en résidences sociales et sur le plan quinquennal que je serai le plus réservé. Il me semble que les positions du COPAF relèvent d'une vision du foyer qui émane principalement des foyers d'Africains et d'une réalité parisienne qui me semble assez spécifique. Il y a par ailleurs un paradoxe : celui de dénoncer dans une première partie "les foyers-caserne ", les foyers " hors territoire ", à stigmatiser une politique où la France est " le seul pays (…) qui ait songé à parquer les travailleurs immigrés dans ce qu'elle a appelé des foyers " et, dans les propositions, d'indiquer que " les fonctions essentielles des foyers restent d'actualité " et que " le foyer n'est pas une solution du passé "…

    Ces quelques remarques n'enlèvent rien à l'intérêt d'une lecture recommandée, stimulante et qui invite à poursuivre le dialogue.





Gilles DESRUMAUX
~ Ecarts d'identité N° 94: Du foyer de travailleur migrant à la résidence sociale : Quelles mutations ? ~ Hiver 2000/2001 ~

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