N° 93


JIHAD, EXPANSION ET DECLIN DE L'ISLAMISME
Gilles Kepel. Ed. Gallimard, 2000, 452 p.

    Islamabad, Khartoum, Téhéran, Ryad, Alger, Le Caire, Djakarta, Ankara, Kaboul, Kuala Lumpur, villes de triste mémoire où l'islamisme politique ou armé, né sur le terrain répressif et autoritaire des Etats, montra une barbarie poussée à son paroxysme. Certes, sa virulence varie d'un pays à un autre, mais son terreau idéologique est puisé en commun dans l'œuvre fondamentaliste d'Ibn Taymiyya (14ème siècle) développée par des extrémistes contemporains qui n'ont d'autres horizons que la Chari'a et l'état islamique : Hassan El Banna (1906-1949) qui a fondé l'Association des Frères musulmans en 1928, le Pakistanais Mawdoudi (1903-1979), l'Egyptien Qotb pendu par Nasser (1906-1966), et l'Iranien Khomeïni (1902-1989).


    Malgré les configurations politiques et sociales propres à chaque pays où le champ religieux est différemment structuré, les régimes nationalistes arabes et musulmans ont tous commis le même péché d'avoir joué au feu avec l'idéologie islamiste à coups de concessions en recherchant leur légitimation religieuse auprès des oulémas qui ont monnayé leur soutien au prix fort. Sadate est passé au fil de l'épée par ceux-là même qu'il a libérés pour contrer le " danger gauchiste ".


    Mais les mouvements islamistes jihadistes ne purent exercer leurs forfaits sans la manne financière de l'Arabie saoudite qui, après la guerre contre Israël d'octobre 1973, se mit à les arroser sans compter de " pétro-islam " à dessein de répandre son idéologie wahhabiste conservatrice et rigoriste. L'avènement de Khoméïni vient changer la donne. Une surenchère idéologique pour le leadership de l'Islam dans le monde opposa alors la monarchie de Ryad et la mollarchie de Téhéran, la première en tentant de fédérer les Sunnites à travers plusieurs ligues et organisations, la deuxième, chiite, jugée hérétique par Ryad qui aida l'Irak dans sa guerre contre l'Iran, à verser son fiel sur l'Occident impérialiste ennemi de l'Islam jusqu'à lancer une fatwa contre l'écrivain Salman Rushdie pour son roman Les versets sataniques.


    L'invasion de l'Afghanistan par l'Union soviétique vient un moment sceller l'alliance des Musulmans contre le Communisme impie, avec le soutien zélé des Etats-Unis. L'Afghanistan où les Islamistes de tous les pays ont fait leurs griffes devient, après le retrait soviétique en 1989, la référence pour tous ceux qui, de retour dans leurs pays, veulent en découdre avec leurs régimes " apostats ".


    Il faut attendre la guerre du Golfe pour que, d'une part l'édifice saoudien éclate en s'attirant l'inimitié des pro-Saddam, et d'autre part se fissure le nationalisme arabe artificiellement soudé autour de la cause palestinienne et la nation arabe tant galvaudée. La manne financière saoudienne se tarit pour les mouvements ayant soutenu l'Irak. Du coup, ces mouvements s'émancipent de la tutelle saoudienne pour se rendre jihadistes disponibles contre les états occidentaux qui apportent leurs soutiens aux régimes incriminés, ainsi que là où les Musulmans sont entrés en conflit. C'est le cas en Bosnie, sauf que la greffe n'y a pas pris. Sarajevo n'est pas Kaboul.
    Ainsi, c'est sur les décombres de l'idéologie nationaliste à l'échec patent, défaite par son arriérisme et son arrogance, que l'islamisme politique et son pendant terroriste s'édifie, aidé par l'accélération des conflits nationaux et internationaux. Et si certains pays ont plus ou moins évité une guerre civile à l'algérienne, c'est en raison de l'implantation sociologique différente de l'islamisme radical. C'est un peu partout une sorte de jeu d'alliance multiforme entre d'une part la bourgeoisie et la classe moyenne pieuses, et d'autre part la jeunesse urbaine pauvre frappée de plein fouet par la crise économique. La radicalisation des mouvements se produit là où la jeunesse déshéritée et impatiente d'abattre le régime en place échappe au contrôle de la bourgeoisie pieuse peu encline au grand changement qui pourrait porter atteinte à ses intérêts. L'Algérie en est un cas d'école : un des deux courants du FIS, dit modéré, représenté par Madani, un homme du sérail, fut vite dépassé par le courant salafiste incarné par Belhadj auquel s'identifie une jeunesse désœuvrée (hittistes : éternels adossés au mur) qui passa vite au terrorisme. A l'inverse, Khoméïni a su rallier contre le chah les différentes tendances, y compris les courants séculiers.
    

    Cependant, le jihad islamique, de par sa violence sans précédent, s'est aliéné partout cette bourgeoisie pieuse qui n'arrive pas à tirer son épingle du jeu, effrayée par la radicalisation de ses ouailles. C'est pourquoi, les régimes honnis, après avoir pâti des islamistes, ceux-là mêmes qu'ils dressaient hier contre les laïcs et la gauche démocratique dont ils craignaient la subversion, tentent de séduire cette bourgeoisie au moment où la jeunesse urbaine et pauvre, devant la dérive terroriste, se détache à son tour des groupes les plus radicaux. Ainsi, à chaque fois que lui échappe cette base radicale que constitue la jeunesse pauvre, son fer de lance doublée d'une réelle capacité de nuisance, la bourgeoisie pieuse adopte un profil bas et se découvre un discours " démocratique " et " libéral " afin de gagner une participation à la vie politique et, pour faire son miel, se recycler dans le marché de la mondialisation. Ces déçus (temporaires ?) de l'islamisme violent se rangent tant bien que mal à l'idée qu'il faut trouver un modus vivendi avec les régimes en place, consacrant ainsi l'échec du terrorisme islamique qu'ils nourrissaient à satiété d'idéologie islamico-guerrière.

    Bref, la déconfiture de l'islamisme " témoigne, conclut l'auteur, de l'échec éthique d'un modèle devenu désormais un moment historique daté, dépassé et rejeté, et non plus une utopie porteuse d'avenir " (p. 355), à charge pour les Etats concernés d'enrayer les causes de l'islamisme et d'engager des réformes sous peine d'assister à d'autres explosions non moins ravageuses, qu'elles soient d'utopie islamiste, ethnique, raciale, confessionnelle ou populiste.

    Il reste que les régimes en place, toujours les mêmes, avaient gagné cette guerre avec un cynisme macabre en jouant souvent à faire redoubler de férocité le terrorisme dans le but de lui aliéner les populations massacrées à grande échelle.

    Hélas, si le terrorisme islamiste se meurt, les régimes qui l'ont enfanté puis éradiqué continuent en matière de démocratie à jouer au leurre en s'alliant à une bourgeoisie pieuse qu'ils traitaient hier de " masques souriants du terrorisme ". Quoi qu'il en soit, seule l'histoire répondra à l'éternelle question de la solubilité de l'Islam dans une démocratie.


Achour OUAMARA




VIEILLESSE, DEMENCE ET IMMIGRATION
Omar Samaoli (France), Peter Linblad et Kirsten Amstrup (Danemark),
Naina Patel et Naheed R. Mirza (Royaume-Uni), Ed. L'Harmattan 2000, 250 p

     De l'avis de M. Lars Rasmussen de la Commission européenne qui a rédigé l'avant-propos de cet ouvrage, "les systèmes de santé des Etats membres de l'Union européenne sont inadaptés aux besoins des migrants" car "mal équipés" face à des "sociétés dont la composition linguistique et culturelle est de plus en plus hétéroclite". De ce fait, "les migrants rencontrent très souvent des difficultés dans leurs relations avec les services de santé et sociaux". Cela, tout acteur dans le sanitaire et le social peut le vérifier chaque jour.

    Plus précisément, le livre est le fruit d'un projet-pilote (CNEOPSA) soutenu par la Commission européenne et réunissant la France, le Danemark et le Royaume-Uni. Ici, les auteurs ont axé leur attention sur la démence, et notamment la maladie d'Alzheimer, chez les populations migrantes vieillissantes. Où en est la recherche dans les trois pays ? Quels soins ? Quelles lacunes ?... Le résultat est un véritable guide à l'adresse des praticiens, formateurs et gestionnaires des soins. Un guide d'autant plus appréciable que les connaissances dans ce domaine sont d'un faible niveau.


    En France, où les migrants âgés atteints de démence ne sont pas "véritablement pris en considération" dans les programmes de recherche sur la maladie d'Alzheimer, l'enquête a ciblé "les conditions des patients et les circonstances propres à leur cas" par un travail sur les archives et des entretiens avec les familles et les soignants. Au Danemark, des entretiens qualitatifs ont concerné les "interactions entre les patients, leurs familles et les professionnels avec un intérêt particulier accordé au contexte culturel et ethnique/racial". Au Royaume-Uni qui "se caractérise par une forte tradition d'organisations prestataires de services aux migrants âgés", c'est auprès de celles-ci et des professionnels et soignants que l'enquête a été menée.

    A partir des recueils des données, les auteurs concluent sur un certain nombre de constats et de recommandations : combler les lacunes dans les connaissances, mettre en place des programmes informatifs et de qualification, développer des instruments de diagnostic appropriés, développer des ressources destinées aux spécialistes...

Abdellatif CHAOUITE




PAROLES KABYLES
Samia Messaoudi et Mustapha Harzoune, Ed. Albin Michel, 2000, 54 p


    "La figue ne tombe jamais en plein dans la bouche" dit un proverbe rapporté dans ce carnet de sagesse, et c'est sans doute ce qui la rend désirable pourrait-on ajouter. Ainsi en va-t-il de ce même carnet : il ne tombe pas en plein dans les mains ni il ne tombe des mains. Il fait appel, par touches légères, au regard et, plutôt qu'à la sagesse, au rêve, à la capacité de rêver.

    Au détour d'un jeu d'ombre et de lumière qui illumine un sourire, d'un proverbe ou d'un fragment de poème, se dévoile "bien plus de vérité et de sens que de longs développements ou de longues tentatives d'explications" comme le note si justement Idir dans sa préface... Un carnet à ouvrir donc de temps en temps pour ponctuer la langue (ici française) par des paroles kabyles.

A.C.
~ Ecarts d'identité N° 93:"Papiers d'identité Identités de papiers" ~ Automne 2000 ~

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