N° 92


CONTES & RECITS DE LA VIE QUOTIDIENNE
Odile Carré. Ed. L'Harmattan, 1998, 199 p.

    Pour "faciliter les échanges entre les parents d'enfants d'origine immigrée et les enseignants" un groupe interculturel de formation, accompagné par O. Carré --Maître de Conférences en Psychologie à l'Université Lyon 2-- a utlisé le conte comme "objet culturel de relation". L'occasion pour l'auteur de montrer comment là où s'ouvrent des écarts, potentiellement traumatiques, engendrés par des situations d'exil, les pratiques de la transitionnalité --élaboration en groupe, mobilisation des contes


et des récits...-- peuvent permettre à chacun de réintérioriser une bonne image de soi en vue d'une autonomie qui facilite la relation. Le travail sur la transitionnalité restaure les liens internes (psychiques) et externes (sociaux). L'ouvrage aborde aussi bien la mise en place du cadre du groupe en formation que les processus qui s'y déroulent, aboutissant à la création de liens sociaux. Il peut ainsi nourrir aussi bien la réflexion que la pratique des acteurs confrontés quotidiennement à des problématiques interculturelles.


Abdellatif CHAOUITE


LA VENUE DE L'ETRANGER
Revue DEDALE, n°9 & 10, Automne 1999. Editions Maisonneuve & Larose, 643 p.


    Avec 643 pages, et pas moins de 79 articles, la Revue Dédale reste, avec ce dernier numéro, fidèle à elle-même. Chaque thème qu'elle aborde, pour ne pas dire qu'elle (dé)borde, est mont(r)é en prisme à travers le temps et l'espace, tant et si bien qu'en faire un compte rendu s'avère aussi dédalesque que de résumer le Pentateuque. Allons-y tout de même. Précisément, c'est notre père à tous, Abraham, qui inaugura l'exil, et dont le neveu, Loth, ira jusqu'à offrir en échange ses filles à la lubricité des Sodoméens venus s'en prendre à ses hôtes. La Bible regorge d'exemples d'hospitalité, la tragédie grecque n'est pas en reste. L'hospitalité pré-et-post -islamique n'est plus à démontrer (le prophète Mohammed fut un émigré), la poésie l'a cousue à coups de vers décrivant l'accueillant jeûner pour rassasier son hôte. Il n'y a pas de mythe qui ne soupçonne derrière l'errant un Dieu déguisé flairant un manquement. Mais détrompons-nous, depuis la sentence de Yahvé " tu n'opprimeras pas l'étranger ", l'hospitalité a toujours rimé avec hostilité. Philoxénie et xénophobie alternent comme le Bien et le Mal, à cette précision près que l'homo sapiens que nous sommes avons un penchant invétéré à plus haïr qu'à aimer.

    On subodore toujours de l'étrangeté dans l'étrangèreté. Au delà du message biblique, tout un chacun ne tolère son prochain que dans la mesure où il consent à devenir le même, bref se convertir. Sauf qu'il est illusoire d'absorber l'altérité. L'étranger ne cesse de venir, quand bien même s'éprendrait-il de sa terre d'exil qu'il grave avec le burin de l'errance. Peut-il être objet d'amour ? Pour aimer, il faut se souvenir de l'avoir été. Du reste, l'étranger procède de l'extraction, à trop vouloir tirer sur son identité il s'attire quelques coups de dents. Très souvent, il n'a pas besoin d'être expulsé, il s'expulse de soi-même. Parfois même du temps. Et être étranger au temps est plus terrible qu'être métèque d'un lieu.

    L'étranger doit aussi la disgrâce de son altérité à la tentation toujours renouvelée de fermer l'universel par ceux qui (con)fondent l'universalité avec leurs pré-carrés nationaux et culturels.

    Et l'étranger en nous, diriez-vous ? Heureux et veinard l'homme greffé d'un cœur de femme !

Achour OUAMARA


LES THEORIES DE L'INTEGRATION
Manuel Boucher. Editions L'Harmattan, 2000, 337 p.


    Plusieurs livres en un. On pourrait présenter ainsi cet ouvrage, à la fois sous-titré "analyse de textes contemporains" et se présentant comme une "synthèse" des enjeux et des "débats ayant cours en France". Issu d'un travail de l'Institut du Développement Social de Haute-Normandie dans le cadre du programme EMPLOI INTEGRA (Fonds Social Européen) à destination des acteurs sociaux, il a pour objectif d'"aider à construire un cadre de réflexion globale" afin de "clarifier le champ complexe des modèles de l'intégration", qui plus est, champ fortement idéologisé.

    Une visée didactique donc qui introduit à une problématique hautement polémique, car à "l'intersection des difficultés sociales et de la question nationale". Pour ce faire, l'auteur procède en distinguant complémentairement deux entrées. La première s'attache à voir clair dans les outils discursifs utilisés : les concepts et les processus , la "vision politique du monde" qu'ils dessinent et la "face sombre" des rapports sociaux qu'ils révèlent. La deuxième présente l'objet du débat --l'"objet interethnique"-- et tente une typologie des approches de cet objet : "assimilationniste, communautariste, intégrationniste, multiculturaliste" à partir d'une lecture des oeuvres les plus marquantes dans ce champ.
    Il faut bien dire que l'essai, aussi risqué soit-il, est bien transformé. Le livre fermé, le lecteur dispose des éléments pertinents de base pour se faire une religion sur la question de la différence culturelle et de l'intégration en France. Ces éléments sont pertinents car ils ne se résument pas en une juxtaposition des différentes définitions ou des différentes théories mais déclinent les enjeux, les tensions, les contradictions et les visées idéologiques et politiques derrière les batailles des mots... Reste une énigme : malgré la prudence qui amène l'auteur à signaler la non prétention à l'exhaustivité de ce travail, nous avons quelque mal à comprendre le manque de toute référence à une des lectures les plus fines et les plus rigoureuses de la question de l'émigration-immigration et de l'intégration en France, à savoir les travaux du regretté Abdelmalek SAYAD.





Abdellatif CHAOUITE


LA FIGURE DE L'AUTRE, ETRANGER, EN PSYCHOPATHOLOGIE CLINIQUE
Coordonné par Zhor Benchemsi, Jacques Fortineau et Roland Beauroy
L'Harmattan, 1999, 202p.


    "La rencontre avec l'étranger a eu de tout temps une fonction structurante essentielle, pour la bonne raison qu'elle est isomorphe à la constitution-même de notre appareil psychique". Voilà sans doute une des vérités qui, malgré un bon siècle de sa découverte par Freud, continue à agir en chacun en se dérobant. Elle est l'Inconscient par définition, sorte de lettre volée qui propulse le regard à ne chercher l'étranger que dans ses théâtres d'ombres ou ses petites différences externes mais rarement là où il expose ses effets en tout un chacun... Les actes du colloque de l'IMA rassemblés dans cet ouvrage, nous introduisent aux différentes figures de cet étranger à partir du terrain de la clinique et des théories qui en émanent.

Toutefois, il ne s'agit pas uniquement ici de psychopathologie mais d'approches où se croisent clinique, littérature et histoire pour rendre compte des différentes articulations entre ce qu'on pourrait appeler l'endo-étranger et l'exo-étranger : l'un révélant ou, au contraire, scotomisant l'autre. Les titres des différentes contributions sont à ce niveau éloquants : il s'agit de "nommer" l'autre, des "épreuves" de l'étranger, de "L'étranger au centre du langage", d'"illusion culturelle", de "L'autre-en-soi"... Une invite en somme pour un voyage dans des contrées intimes où se tapie cet autre, qui n'est pas pour autant le même pour tous. Alors, comme l'écrit l'un des auteurs, "bonne route à tous ceux qui voyagent, à la recherche de l'Autre étranger, souvent caché en eux-mêmes, et qui leur ressemble comme un frère."

Abdellatif CHAOUITE


FAMILLES MAGHREBINES EN FRANCE, L'EPREUVE DE LA VILLE
Rabia Bekkar, Nadir Boumaza, Daniel Pinson, PUF, 1999, 291 p.


    Le projet de cette étude est d'appréhender les différentes façons d'habiter la ville qu'élaborent les familles immigrées maghrébines. La confrontation à la nouvelle culture proposée par le pays d'accueil et la volonté d'affirmer son origine culturelle par des pratiques et des aménagements spécifiques de l'espace, entraînent en effet une culture de la ville marquée par ces deux influences. A travers trois études, les auteurs cherchent à appréhender "l'habiter" en tant qu'expression des interactions entre la culture d'origine et la culture d'accueil.

    Dans la première recherche à Nantes, Daniel Pinson souligne les réaménagements effectués afin d'adapter la culture d'origine à la culture occidentale. Ceci se manifeste entre autres au niveau des structures familiales, des modes de vie, et se retrouve dans la construction d'une double identité, et d'un "double lieu de vie " (la maison au pays natal originairement prévue pour le retour au pays devient résidence secondaire). L'auteur note tout particulièrement le décalage entre les différentes générations quant à l'intégration d'éléments de la culture d'origine dans la culture d'accueil. En effet, on constate une importante tendance des nouvelles générations à l'occidentalisation.

    Rabia Bekkar, dans son étude à Lyon s'est intéressée à des femmes d'origine algérienne habitant des pavillons en accession situés à Décines. Elle retrouve certains éléments observés à Nantes (par exemple l'occidentalisation des pratiques chez les enfants, l'hybridité dans l'aménagement de l'intérieur, etc.). A cela s'ajoutent les questions soulevées par le fait d'être propriétaire et ce que cela entraîne au niveau de la représentation du pays d'origine, ainsi que du retour éventuel dans celui-ci. L'auteur s'attache particulièrement à l'idée d'opposition entre la sphère publique et la sphère privée. En effet, elle constate que l'aménagement et l'usage de certaines pièces semblent se scinder en deux : la sphère publique, d'une part, représentée par les pièces basses (cuisine, salon, salle à manger, etc.) et d'autre part la sphère privée, correspondant aux régions hautes telles que les chambres, ou les lieux de soin du corps. Ces derniers sont souvent beaucoup moins investis et décorés que les lieux de la sphère publique, ils contiennent aussi beaucoup moins d'éléments rappelant le pays d'origine.

    L'étude réalisée par Nadir Boumaza à Grenoble compare les populations issues de l'immigration kabyle (débutant dès les années 40) et celles de l'immigration marocaine plus récente (années 70). Il souligne que si les familles marocaines voient leur passage en France comme une stratégie pour réussir leur vie, ou comme une mutation en cours, les familles kabyles voient leur installation comme plus durable. L'origine, les projets et la conception de leur vie en France étant différents, les pratiques de l'habitat ne sont pas les mêmes chez les kabyles et chez les marocains. En ce qui concerne les pratiques des immigrés marocains, l'auteur constate que si certaines pratiques représentatives de la culture d'origine sont conservées (organisation de la journée, prière, hospitalité, répartition des chambres, etc.), d'autres pratiques ont été "adaptées" à ce nouvel espace qu'offre le logement en France. L'auteur constate que très souvent, l'espace domestique est coupé en deux : d'un côté, il y a les pièces pratiquées et équipées à la française (par exemple la cuisine, la chambre, la salle de bain, ou les W-C). De l'autre côté, il y a le salon qui représente un "concentré" de culture marocaine, et qui permet ainsi d'afficher son origine culturelle (plus d'ailleurs que de la pratiquer). L'auteur parle d'homologie avec la situation et le statut d'immigré. Le clivage entre les lieux aménagés de façon marocaine et les lieux français rappellent "l'individu double " qu'est l'immigré. Les kabyles ont une manière très différente de concevoir leur habitat. Les personnes interrogées voient en effet l'adaptation à la culture française comme significative de la réussite, et d'un certain niveau de confort atteint. Aussi les éléments de la culture kabyle ne sont-ils pas mis en valeur, contrairement aux symboles d'acquisition des normes culturelles françaises. Les références à la culture d'origine sont matérialisées par de petits objets décoratifs seulement, alors que le mobilier lourd est la plupart du temps européen.

    Ces trois études montrent comment les différents individus élaborent des stratégies d'adaptation à leur environnement, et comment l'aménagement et la pratique de celui-ci peuvent être appréhendé comme un symbole de l'identité "hybride" de ces personnes.

Céline DARNON

~ Ecarts d'identité N° 92:"Mémoire, récit de vie, autobiographie...creuset de la reconnaissance" ~ Mars 2000 ~

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