N° 90-91
FAUT-IL OUVRIR LES FRONTIERES ?
Catherine Wihtol de Wenden. Presses de sciences po, 1999, 113 p.
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Le regretté A. Sayad avait déterré les paradoxes et les mensonges sociaux constitutifs
de l'émigration-immigration. Le dogme de la fermeture des frontières serait-il le
dernier et le plus actif aujourd'hui de ces mensonges ? C'est "l'idée neuve" qui
fait son chemin d'après C. de Wenden. "On fait fausse route en prenant la fermeture
des frontières comme seule politique d'entrée et de séjour raisonnable." Car celle-ci
conduit à "l'hypocrisie de politiques d'admissions souterraines n'osant pas affronter
(l')opinion publique". Mieux, la question de fond est : qu'est-ce qui justifie que
l'homme ne circulerait pas librement dans un monde où tout ce qui constitue cet homme
circule aujourd'hui librement ? La réponse officielle est le réflexe sécuritaire. Mais
si cette réponse est elle-même erronée ? La "réalité des marchés inter- et transnationaux,
économiques, médiatiques et culturels... transcendent la souveraineté des Etats".
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Ceux-ci ont déjà beaucoup perdu de leur pouvoir au sein de
leurs frontières. Les processus migratoires
ont de plus en plus un "caractère durable" lié à la mondialisation et à la modernisation.
L'émigration est aujourd'hui "un sujet de Droits de l'Homme". La fermeture des frontières
a un coût alors que ses résultats sont "aléatoires"... Bref, la réponse sécuritaire a
tous les caractères d'un leurre au moment où "Les migrations réintroduisent...
une dimension de nomadisme dans un ordre international... caractérisé par la circulation
migratoire".
Alors que faire ? "D'abord se débarrasser des peurs et ouvrir un débat", légitimer
la question. Elle est, dans le fond, celle de la "démocratisation des frontières" et
"d'un autre droit de cité".
Abdellatif CHAOUITE
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FAIRE SOCIETE, Les associations au cœur du social
ss. dir. de François Bloch-Lainé. Syros, 1999.
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Bientôt un siècle pour une loi,
la fameuse "loi 1901" autorisant la liberté associative. Formulation qu'il faut tout de
suite ici assortir du rappel que cette liberté n'a été étendue aux étrangers qu'en 1981.
Un siècle, c'est sans doute assez de temps pour des velléités qui voudraient adapter
cette loi aux changements accélérés de ce tournant du siècle. Mais peut-être également
peut-on soutenir "qu'il convient de laisser intact un texte libéral, souple" qui commence à
donner pleinement ses fruits : un "baby boom" de la vie associative en France depuis
les années 70, témoignant d'une redynamisation de la société civile et de la démocratie
--sans oublier que ce phénomène correspond aussi à un mouvement que d'aucuns apparenteraient à
une sorte de retrait de l'Etat dans certains secteurs.
Les différentes contributions de cet ouvrage argumentent dans
ce débat en nous aidant ˆ voir clair dans cet objet (l'association) non toujours bien
identifié. Une première partie fait le point sur un demi-siècle d'"évolution des o
euvres associatives". Une sorte de "toile de fond" qui
fait ressortir l'évolution globale de ce secteur et ses modèles, les conditions qui ont
permis ces évolutions (explosion urbaine, niveau d'instruction...),
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le rôle tenu par les
associations dans la construction des demandes sociales, leur rôle économique, leurs liens,
pas toujours clairs, avec le secteur public...Ces questions sont plus approfondies pour
les associations oeuvrant dans le champ sanitaire et social.
Une deuxième partie tente de cerner les spécificités de l'œuvre associative.
Spécificités qui sont entre autres des "paradoxes" tels que les relèvent François
Bloch-Lainé. "Paradoxes vivifiants" mais dans lesquels beaucoup d'acteurs associatifs
reconnaîtront les difficultés concrètes du "double band" quotidien : gestion
entreprenariale sans objectif lucratif, professionnalisme/militantisme, sphère
privée/"service public"...
La dernière partie est méthodologique et pratique. Sont évoqués les niveaux
organisationnel, institutionnel, fédératif, professionnel, relationnel entre
bénévoles et salariés, le rapport à l'argent...
Un livre rendez-vous avec la question associative qui se pose déjà
et se posera de plus en plus dans les années prochaines.
A.C.
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FAMILLES DE L'INTEGRATION
Ahmed Boubeker. Ed. Stock, 1999, 331 p.
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On lit sur la couverture
Familles de l'intégration et déjà on dresse l'oreille. Une oreille habituée aux
titres du genre Familles et intégration ou l'intégration des familles... Puis on
ouvre le livre, en l'occurrence imposant, et on se trouve vite pris dans une sorte
de tourbillon (pérégrinations dit l'auteur), qui ne nous lâche plus, sous un double
effet : celui d'une lecture fine ˆ travers des idées qui s'imposent presque à chaque
page et celui d'une écriture, ou de ce qu'il est convenu d'appeler un style.
Travail d'anthropologue, il anime l'ethos d'une colline :
la colline de Saint-Ennemond, sur les hauteurs du quartier de la ville de Saint-Chamond,
une colline où "la planète s'est donnée rendez-vous". Une sorte de concentré de
la France de l'immigration en somme. Mais ce travail ne se limite pas à faire
revivre la mémoire de cette "colline oubliée". Il en dégage un souffle, une
vision du détail et de l'ensemble, une lecture du "dedans" et du "dehors" de
cette mémoire qui, au bout du compte, renvoie, en l'inversant, ˆ la société,
la paresse de ses représentations sur l'intégration. Oui, ce sont bien des
familles de l'intégration auxquelles nous avons ˆ faire et non des familles à
intégrer. En tout cas s'agissant de l'émigration-immigration algérienne qui
a accompagné ce siècle. Des "figures", véritables "portraits de groupes avec
ambiance", en dessinent ici chacune des périodes et chacune des générations.
Elles donnent accès à leurs territoires aussi bien réels qu'imaginaires et,
par là-même, aux territoires d'assignation auxquels les confine
l'imaginaire social de la société d'intégration. Au fur et à mesure
de ce travail et des récits qui l'émaillent, un fil de compréhension
se tisse, se rend lisible derrière les différentes stratégies sur lesquelles
les uns et les autres s'aveuglent : une condition telle qu'elle tourne à la
"souffrance du vide". Plus les générations passent et s'intègrent et plus
elles se lisent par "défaut" : "défaut d'incruste" dans la mémoires des
"zoufris" (des vieux),
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dans celle des "cousins" (communauté-quartier),
dans celle de l'intégration "à la française"... Une sorte de machine à
piéger, à coincer "dans son quartier et sa caboche" et dont la seule
échappatoire est la dérive dans les "cérémonies conjuratrices du vide.
" Drame de générations coupées : "faute de partage de la parole, faute
de transmission d'un récit, les pères et les fils se sont ratés et restent
encore souvent des étrangers". Le tout se jouant (ce mot est clé dans
les discours des concernés : "jouer le jeu", "se la jouer"... il revient
sans cesse comme pour rappeler le sentiment d'un semblant de vie,
une sorte d'identité comme-si) dans un décor de crise urbaine qui
a transformé "les cités radieuses" en "cités ghettos", en "non-lieux".
Depuis, des vagues de discours,
procédures, liftings... ont coulé sur ces lieux "éprouvettes sociales", laissant l'impression
d'un paradoxe piégeant tout le monde : le fil de rasoir entre un "cauchemar annoncé" et la
"cité idéale" se déplace sans rompre. De désillusion en retour de bâton, c'est bien souvent
la suspicion qui l'emporte, alimentant l'injonction d'tre plus royaliste (plus responsable,
plus citoyen...) que le roi. Elle-même créant un nouveau paradoxe : redevenir ce qu'on est,
d'abord des musulmans, des kabyles... et ainsi de suite ? Pas exactement. D'autres logiques
et d'autres réalités (moins avouables ?) sont ici déterrées : l'ethnic-business et ses
retombées, le déclin des sociétés intégrées, de nouvelles figures (les sans papiers...)
symptômes d'un monde en transition entre Etats et Monde...
Toutes révèlent l'incertitude d'un certain nombre d'équations courantes
(exclusion des uns contre intégration des autres...) et la justesse de
quelques évidences : "l'immigration est rencontres", "recomposition du
monde" à tout niveau.
Un livre à lire dans ce tournant 2 000 pour porter
son regard au loin : sur les mémoires des familles de l'intégration qui
détiennent les vérités d'aujourd'hui et sur les projections qui annoncent celles de demain.
Abdellatif CHAOUITE
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HISTOIRE DES RELIGIONS EN EUROPE
Judaïsme, Christianisme et Islam (ouvrage collectif)
Ed. Hachette Education, 1999, 320 p.
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Ce bel ouvrage, abondamment illustré,
nous présente une histoire comparée des trois religions monothéistes en Europe, à travers
l'histoire des institutions religieuses et les débats théologiques.
On pourra regretter néanmoins, alors que cet ouvrage est "conçu
comme un manuel d'histoire", que dans le premier chapitre sur le
judaïsme, il n'apparaisse pas de distinction entre l'histoire et le
récit biblique, malgré
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les travaux existants, notamment d'historiens israéliens, permettant une approche
historique du judaïsme.
On soulignera par ailleurs tout l'intérêt de cet ouvrage élaboré dans
une perspective scientifique par des langues représentants de ces trois
religions qui affirme "la nécessité d'aborder les faits religieux avec
un souci d'objectivité et de respect des consciences".
Anne LE BALLE
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LANGUE URBAINE ET URBANITE
Thierry Bulot (ss. dir.), Ed. L'Harmattan, 1999, 235p.
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La spécificité du fait urbain dans la production langagière n'est plus à démontrer.
La sociolinguistique s'attelle depuis Labov à rendre compte des marquages identitaires
à travers les usages de la langue. Les auteurs de cet ouvrage insistent sur le caractère
urbain en tant qu' "espace vital et lieu de production et de mise en valeur des ressources
matérielles et symboliques".
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Chaque espace est singulier, d'où l'analyse contrastive
entreprise ici entre plusieurs villes (plutôt quartiers) : Rouen, Venise, Berlin, Athènes et Mons.
Le rapport à l'espace est lié à l'insécurité linguistique sous-jacente à la mobilité
sociale et aux pratiques discursives. Rive gauche/rive droite, centre/banlieue :
la production langagière dit ces lieux dans une guerre sournoise de légitimation
entre les différents codes mis en concurrence.
Achour OUAMARA
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AU COEUR D'UN COUPLE FRANCO-ALGERIEN
Martine Mounier, Editions de l'Aube, 1998, 186p.
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Martine Mounier témoigne ici
d'une expérience de couple pour le moins singulière entre une Française et un
Algérien. Voilà une Française, de surcroît une intellectuelle, ignorant tout
de la culture algérienne (elle l'avoue), qui par le hasard d'une rencontre
amoureuse avec un journaliste algérien réfugié en France, découvre au fil de
la vie conjugale le combat pour l'Algérie d'aujourd'hui, le racisme inédit de
ses parents, mais aussi les travers interculturels qu'engendrent une vie de couple mixte.
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Il demeure que l'auteur, pourtant ethnologue de formation, pêche çà et là,
en filigrane, par la généralisation comme si la culture algérienne se laissait
appréhender par l'observation de son conjoint. N'est-ce pas que dans le terme
mixte il y a mixture et que toute sauce se reconnaît au dosage de ses multiples
condiments ? Ici indigeste, là agréable au palais !
Achour OUAMARA
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