N° 86


IDENTITES DE PAPIERS
Claudine Dardy, Ed. L'Harmattan, 187 p.

    Papiers d'identité, Identités de papiers, l'inversion signale dès l'abord la perversion de la gadoue paperassèque où tout un chacun est précisément assujetti à l'injonction de toutes sortes de formulaires. Ainsi, "l'identité -- du moins une certaine forme d'identité -- de chacun d'entre nous se joue et se rejoue, se dessine, s'estompe ou s'affirme dans ces papiers". Si bien que la famille devient "l'ensemble de personnes qui ont en commun le plus de liens de papiers possible". Il suffit qu'un employé aux écritures écorche votre nom (Lovis en Louis, ou Ahmed en Amed), pour que tout votre réseau d'inscription généalogique s'effondre, et parfois le cours de votre vie peut changer de destin, quand il n'est pas suspendu à ce satanique et magique tampon qui vous fait passer d'un pays à un autre, d'un statut à un autre, bref d'un Non à un Oui.


    Résider, travailler, circuler, forment le faisceau de trois éléments pourvoyeurs d'identité paperassèque, tant et si bien qu'aujourd'hui être exclu est synonyme de non inscrit, entendez ne pas justifier d'une de ces identités, à l'exemple des sans papiers, des SDF, des RMIstes, etc.
Longtemps, le corps fut un support d'inscription identitaire qui peu à peu laisse place à la raison graphique qui confère au papier d'identité une autonomie se passant du corps qu'il désigne. Le corps, mis en texte (en formulaire), se mue en corpus. Il s'évanouit devant le code-barre génétique en passe de devenir la signature ultime. C'est pourquoi le papier fait le moine. Mieux : il vaut l'homme. "Il est plus simple de mourir tout court qu'administrativement". On connaît maintes histoires de ces défunts qui, faute d'être enregistrés, continuent de recevoir leur feuille d'impôts. C'est une vérité, un ordre graphique s'instaure et construit des rapports sociaux générés, entre autres, par les inégalités devant la raison graphique.

    S'il faut saluer, dans cet ouvrage, la qualité d'écriture, ses références à la diaspora arménienne sous forme de tranches de vie, ainsi qu'à la littérature, sans pour autant négliger, loin s'en faut, les travaux sur la raison graphique, on regrettera que l'auteur sorte souvent du sujet signalé par le titre de l'ouvrage (Identités de papiers) ; il s'en éloigne pour y revenir dans un jeu de va et vient qui lui interdit toute cohérence. Mais après tout, pourquoi la cohérence s'imposerait-elle ?

Achour OUAMARA


LE METISSAGE
François Laplantine et Alexis Nouss
Ed. Flammarion, coll. Dominos, 1998, 125 p.

    "L'ambition de ce petit livre est de contribuer à transformer cette notion en concept, voire en paradigme, et de montrer non seulement sa légitimité, mais sa pertinence dans des champs extrêmement diversifiés". Belle ambition à laquelle se sont attelés F. Laplantine et A. Nouss, même si elle s'apparente à une lutte de David contre Goliath ("valeurs hégémoniques dominantes d'identité, de stabilité et d'antériorité").

    Ce travail vient cependant à point. D'abord pour combler un manque, non de pratiques ni de cultures métissées et de métissage, mais d'une pensée de celui-ci. Notamment pour le distinguer du mélange et de l'hétérogène : "Le métissage est une composition dont les composantes gardent leur intégrité". C'est un "dialogue" et non une simple formation d'un nouveau monologue, une nouvelle standardisation."Le métissage s'oppose à "la totalisation". Il y a dans ces positionnements de quoi renouveler le débat sur ces notions devenues "Jokers" dans les discours de l'intégration, interculturel voire nationalité...
    A travers quelques exemples (civilisationnels, linguistiques, culturels), les auteurs montrent comment le métissage parcourt en fait l'histoire des sociétés humaines. Ils posent ensuite les "jalons théoriques" pour une pensée, une philosophie et une éthique métisses en examinant les catégories de pensée dominantes qui l'ont occulté : la pensée analytique de la décomposition et la pensée synthétique de la réconciliation des contraires. Le métissage est "une pensée de la tension" qui ne saurait être enfermée dans aucune catégorie définitive, elle n'est ni contenue ni contenante par des limites mais "dirigée vers un horizon imprévisible"... Une sorte de pensée musicale (qui reste encore à inventer ?) car c'est "sans doute l'art le plus propre au métissage"... Ce "petit livre" y contribue grandement !




Abdellatif CHAOUITE


SOCIOLOGIE DE L'INTEGRATION
Mohand Khellil. Que Sais-je. Presses Universitaires de France 1997


    Le maître mot qui a accompagné le changement de nature du phénomène migratoire en France -- le passage d'une immigration économique à une immigration de peuplement -- à savoir l'intégration, donne lieu ici à une analyse sociologique, précisant tout ensemble les différents concepts qui s'y rapportent ou qui s'en distinguent et les problématiques actuelles qui l'opérationnalisent.

    Partant "du visible pour aller vers ce qui est caché" et complexe, M. Khellil passe en revue les différentes dimensions et institutions (la nation, l'école, la famille, les différences culturelles...) et les différents processus (socialisation, adaptation, transgression, conflit, ségrégation...) qui constituent les différentes facettes de l'interrogation sur l'intégration.
Le tout est solidement étayé par des références aux auteurs aussi bien classiques que contemporains, américains que français (mais on peut à ce titre se questionner sur l'absence de toute référence aux travaux d'Abdelmalek Sayad et de Michel Wieviorka pour le moins !)Au-delà de ces rappels utiles qui ont l'énorme avantage de sortir la notion d'intégration de sa fausse évidence, l'auteur indique l'ouverture du débat en France : "dans les faits comme dans les esprits, l'intégration semble être une évolution vers une logique de type communautaire qui reste à analyser".

    Il manquait un travail synthétique sur cette question, ce Que Sais-je ? comble avec bonheur ce vide.

Abdellatif CHAOUITE


DES ECRITS DANS LA VILLE. Sociolinguistique d'écrits urbains : l'exemple de Grenoble.
Vincent Lucci (dir.), Agnès Millet, Jacqueline Billiez, Jean-Pierre Sautot, Nicolas Tixier.
Ed. L'Harmattan, 1998, 310 p.


    Il n'y a pas de sotte matière pour la connaissance. Le social se niche en toute chose. On ne prête pas assez attention à ce qui nous entoure ; parfois même on s'en offusque. Ainsi des enseignes, graffiti, grafs, tags, icônes, logos qui émaillent les murs de nos villes et les frontons de nos commerces, qui sont passés dans cet ouvrage au crible de la sémiologie et de la sociolinguistique. Pas un gribouillage n'est laissé en reste. Les auteurs ont recensé un océan d'écrits disparates, publics et privés, licites et illicites, apposés sur des supports divers : pancartes, murs, poubelles, lampadaires, cabines téléphoniques, poteaux, boîtes aux lettres, bus, tram, arrêts de bus et de tram...

    Outre leur fonction informative, ces écrits nous révèlent une multitude de fonctions, au rang desquelles les fonctions d'identification et de distinction, où "la raison graphique se met très largement au service de la lisibilité et de la visibilité de la raison sociale". Y sont analysées toutes les métaphores de la lettre : hauteur, cursivité, orientation, calibre, casse... qui se chargent de valeurs insoupçonnées. Ainsi de l'empattement, par exemple, qui constitue un indice de distinction socioculturelle.
    L'analyse comparative ville/banlieue nous enseigne, entre autres, deux régimes sous-jacents faits d'oppositions : complexe/homogène, typographique/iconique, illisible/lisible, identificatoire/informatif

    Les enseignes de la banlieue ont une tendance à l'appellation générique, "degré zéro de l'identification" ("Boulangerie, Coiffure...), alors que celles de la ville penchent pour l'appellation spécifique mobilisant des figures rhéto-orthographiques : Epi tête (coiffure), Au four et au moulin (Boulangerie), Au fil du temps (mercerie), Quoi de n'oeuf (restaurant), etc. "Les marques d'identité du centre ville font place à d'autres marques dans les banlieues, avec d'autres formes et d'autres moyens, dans des écrits illicites ou tolérés".

    Voilà un ouvrage qui, tel Midas (la comparaison s'arrête là), transforme en or massif les objets banals pour le regard naïf. Désormais, la flâneur ne pourra plus s'empêcher de s'intéresser à cette "littérature de murailles " où le mur se fait parchemin.

Achour OUAMARA.


LA CONTRIBUTION DES TRAVAILLEURS ETRANGERS AU DEVELOPPEMENT
INDUSTRIEL DE LA FRANCE DE 1850 A NOS JOURS
Paul Muzard, brochure éditée par le MRAP, 1998.


    Il est des réflexions et des travaux dont il sera toujours regrettable que ne s'ouvrent pour eux les moyens d'une diffusion adéquate. D'autant qu'ils sont moins nourris par les ambitions d'une carrière que par un acte d'engagement dû à la vérité, la justice et à l'humanité.

    Ainsi en est-il de cette brochure de Paul Muzard intitulée "La contribution des travailleurs étrangers au développement industriel de la France de 1850 à nos jours". Le titre est assez explicite pour signifier la dette contractée par ce pays vis-à-vis de ces travailleurs. Une dette insoldable (le développement industriel) par les calculs des salaires de misère qu'ils ont reçus et des droits étriqués qui leur ont été accordés au compte-goutte pendant et après leur "utilisation". Encore moins évidemment par les compromissions politiques avec des courants qui sont la pure négation indécente de la vérité historique d'hier et d'aujourd'hui... Le mot qui revient souvent sous la plume de P. Muzard pour dire ce manque de reconnaissance quasi pathologique est "mépris"... Oui ce mépris a de quoi nourrir bien des nausées, tout aussi regrettables dans leurs effets, chez bien des générations. Et l'on s'étonne que Mariane déprime !...
    Paul Muzard s'attelle ici avec honnêteté et rigueur à un devoir de mémoire car "le racisme aujourd'hui repose sur les oublis et les falsifications de l'histoire". Deux parties composent la brochure. La première traite de la contribution des travailleurs étrangers au développement industriel de la France. On y apprend quel contexte rendait la main-d'oeuvre étrangère "indispensable" et quels contextes et intérêts la rendaient "méprisable". La deuxième partie traite de la mobilisation des coloniaux dans les guerres de la France. On y apprend en quoi a consisté "la dette du sang" et la misère des survivants ! ...

    Pour faire un pas dans le sens de la justice, "il faut rendre le passé au présent, raviver la mémoire". Il faut d'autre part avancer concrètement dans le sens de ce "projet qui s'impose désormais : celui de l'intégration du tiers-monde au développement".


Abdellatif CHAOUITE

Contact : MRAP - 43 Bd magenta 75010 PARIS.
Tel : 01 53 38 99 99
site internet:http://www.mrap.fr/


COMPRENDRE LA CULTURE ARABO-MUSULMANE
Xavière Remacle. CBAI Bruxelles. Chronique Sociale, Lyon, 1997


    Ce livre est un "recueil de matériel pédagogique". Il est issu de leçons que Xavière Remacle a donné à des jeunes en formation. En tant que tel, et c'est ce qui fait son originalité, il définit bien à la fois son opportunité et ses limites. "Vulgariser" mais à partir d'un regard ou d'un savoir à la fois extérieurs et bien avertis (du double point de vue théorique et expérientiel) pour donner à "comprendre la culture arabo-musulmane". Dans ce sens, ce titre passe-partout est plutôt bien choisi et colle au but : prendre avec (comprendre) cette culture ou la faire "comprendre" dans le contexte où elle est présente de fait et où se pose l'interrogation à son propos : le contexte de l'immigration maghrébine en Europe. L'entreprise à ce niveau est plutôt bien menée. En quatre temps, le néophyte (musulman ou pas) de l'histoire et du présent de la religion-culture musulmane pourra y apprendre "le contexte anthopologique et politique de la naissance de l'Islam", ce qu'il a produit comme "vision du monde" au quotidien, la dynamique intellectuelle et civilisationnelle qu'il a engendré et enfin l'histoire des relations entre ce monde musulman et le monde dit occidental.
Le tout à travers un regard critique qui pointe les tensions entre les idéaux et les réalités et les contradictions inhérentes à toute forme de religion auxquelles l'Islam n'échappe pas, les survivances antéislamiques...     Les limites, mais elles sont peut-être inhérentes à ce genre d'exercice, sont surtout dans certaines manières de dire parfois qui peuvent laisser "comprendre", également, (sans que ce soit dans l'intention de l'auteur), que ce monde au quotidien est une sorte d'essence totale en confrontation continuelle avec une autre essence totale : le monde moderne occidental... A cette réserve près, mais qui est peut-être plus une invite à aller plus loin dans cette rencontre et cette compréhension, l'ouvrage est un excellent outil pédagogique d'approche de ce monde dit arabo-musulman.




Abdellatif CHAOUITE
~ Ecarts d'identité N° 86:"Migration, Exil, Création," ~ Septembre 1998 ~

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