N° 84/85
L'HOSPITALITE
Revue Communications N°65, 1997, Seuil
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Seize contributions traitent ici des différents types d'hospitalité.
De l'hospitalité spontanée à celle qui obéit aux conventions sociales. Le mérite de ce numéro
est d'élargir cette notion à d'autres domaines proches de l'actualité et de la vie telle que
l'exclusion. Ainsi de l'accueil institutionnel (comme l'accueil mitigé de l'islam dans l'espace
religieux français), des espaces de civilités urbaines (manières de prendre place dans les villes),
d'accessibilité à des lieux ségrégés (pour handicapés, femmes, SDF, personnes âgées...).
Il est aussi une hospitalité sélective qui consiste à accueillir selon moins un rite
qu'un code marchand (plutôt le touriste que le travailleur, le clochard que le jeune
errant, l'urbain que le rural...). Les rapports marchands dissolvent l'hospitalité
puisqu'on paie tout. On ne donne pas. On ne reçoit pas. On ne doit donc rien.
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Mais le thème de l'hospitalité est inépuisable, et il ne peut se
prêter à une réflexion globale et universelle. Chaque face-à-face génère une violence
qui appelle une interaction spécifique pour une relation pacifiée, donc à une invention
de langage de rencontre
L'hospitalité est un "processus d'hominisation" en ce que
l'homme, en recevant, se révèle et s'invente dans l'humanité de l'autre, en dehors
de toute logique institutionnelle. Il faut cependant transformer les exigences de
cette hospitalité en droit effectif, celui de l'individu à choisir sa résidence,
sa nationalité, l'ami à accueillir. Minimum intangible sans quoi l'hostilité noierait
l'hospitalité.
Achour OUAMARA
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CONTRIBUTIONS A UNE SOCIOLOGIE DU SUJET
ss. dir. Guy Bajoit et Emmanuel Belin, Ed. L'Harmattan 1997
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"La modernité est bien gouvernée, en son fond, par l'impératif de
la subjectivité, et c'est cet impératif même qui induit une transformation de la condition
subjective".
L'un des mérites des contributions à une sociologie du sujet est de
repenser ce dernier à l'oeuvre dans les logiques constitutives du social, le sortant ainsi du
trou, de l'illusion ou du résidu théorique dans lesquels il était pris.
Fruit d'un séminaire de recherche organisé par l'Unité de
Sociologie de l'Université Catholique de Louvain, l'ouvrage repositionne en la
théorisant la notion de sujet dans le questionnement sociologique,
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il en cerne "les implications du point de vue d'une macro-sociologie du changement social"
et il présente le sujet à l'œuvre dans un certain nombre de terrains particuliers.
Plus essentiellement, le débat ébauché ici bouleverse les paradigmes
classiques de l'approche sociologique : "le principe d'explication des conduites ne serait
plus à rechercher seulement dans l'emprise du social sur l'individu, mais au cœur même de
celui-ci".
Une sorte de "révolution copernicienne" en somme, mais qui en dit long
sur les mécanismes de socialisation et d'intégration dans la société d'aujourd'hui.
Abdellatif CHAOUITE
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LE RACISME AU TRAVAIL
Philippe Bataille, Ed. La Découverte, 1997, 267 p
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Il n'y a pas réellement de tradition de lutte antiraciste dans le
mouvement ouvrier en France, malgré certaines mobilisations syndicales qui, du reste rencontrent
des difficultés quant à rallier leurs bases sur le bien-fondé d'une telle lutte. Le problème
reste entier aujourd'hui, au moment où les idées du Front National entrent dans l'entreprise
par la grande porte contre toutes les mises en garde des directions syndicales devant un tel
danger : aux élections législatives de 1997, 18% de sympathisants FO ont voté FN, 11% de la
CGT, et 7% de la CFDT. "Le travail est bien devenu un lieu de production du racisme, puisque
son organisation en invente de nouvelles expressions, comme avec l'ethnicisation des tâches".
Le désarroi syndical en est à son comble. Cependant, le racisme dans l'entreprise n'es pas
une denrée importée de l'extérieur, sinon par métastase. Le racisme et la xénophobie est une
fabrication interne à l'entreprise, obéissant à des enjeux complexes. Cette spécificité est
souvent liée à l'organisation du travail. Ce qui explique les formes multiples et diverses
du racisme au travail. Chaque entreprise a en quelque sorte son racisme-maison.
La discrimination à l'embauche paraît déjà comme un phénomène
qui prend de l'ampleur dans une désolante "indifférence institutionnelle". Comparativement,
le Royaume-Uni instruit 2324 dossiers contre 2 en France pour discrimination à l'embauche.
Les employeurs ne manquent pas d'astuces pour déjouer la loi, tant et si bien que la preuve
juridique de discrimination est difficile à apporter. Mais la préférence nationale n'est pas
une spécialité du Front National. L'Etat français l'applique déjà dans la fonction publique,
excepté l'enseignement supérieur et la recherche depuis 1982. Dans le secteur privé, des
entreprises, comme celles dans le bassin d'Alès, étudiées par l'auteur, pratiquent la
préférence nationale et communautaire, puisque sur 7000 emplois offerts par les PME, seul
1% de Maghrébins sont embauchés. La préférence communautaire fonctionne au vu et au su de
tout le monde (le père embauche son fils, ...). Alors, "la certitude acquise d'être victime
de discrimination raciale à l'embauche alimente un désespoir qui affaiblit plus encore ceux
qu'elle atteint".
Le climat de méfiance semble régner au sein des entreprises :
"Les thèmes des agressions racistes associent couramment passé et présent, histoire et
actualité". On y trouve sous ses diverses formes le racisme étouffé, politisé, voilé,
ou ce racisme qui passe par la blague et dont on se rétracte ("c'est pour rire").
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Certaines entreprises trouvent une sorte de modus vivendi, ce que l'auteur appelle
un racisme "équilibré" : les insultes racistes sont sanctionnées moins par altruisme
que pour éviter des conflits internes ("ouvrir la boîte de Pandore"). Dès lors,
le racisme se débride dans certains lieux qui servent de déversoirs pour se défouler
et cracher tout le fiel de xénophobie : vestiaires, toilettes, bus du personnel, etc.
Déclaration à l'emporte-pièce dont les formules sont puisées dans le grand dictionnaire
du FN : après un massacre en Algérie, "vous avez voulu l'indépendance, eh bien c'est
bien fait pour vous", après l'attentat dans le métro à paris, "Alors t'es content
d'avoir tué des Français ?". Le travailleur-raciste en appelle plus à l'ordre
culturel qu'à l'égalité et à la solidarité. L'infériorité de l'immigré dans
l'organisation du travail justifie pour lui l'infériorité de sa culture à laquelle
il le ramène sans cesse.
Plus graves sont les dérives racistes qui s'expriment au sein des
grands services publics. Dans certaines préfectures le ou la préposée à la délivrance des
cartes de séjour tire de son travail un pouvoir discrétionnaire qui terrorise les demandeurs.
Le préposé s'investit d'une fonction de protection de la République, qu'il mène parfois avec
un zèle si poussé que toute autre référence culturelle lui paraît une menace pour la sainte
République. Dans d'autres services, on refuse sans égard à la loi de se mettre au service de
l'immigré-usager : "leur bonjour, pfouff ! c'est des simagrées, c'est du cinéma". Il arrive
qu'on donne un mauvais renseignement à l'immigré (pour lui faire prendre, par exemple,
un mauvais train).
Que faire ? La concurrence syndicale n'est pas pour aider à clarifier
le débat. La défense des immigrés les fait passer pour des "syndicats arabes". L'action syndicale
contre le racisme au travail a du mal à argumenter tant elle est vite cataloguée d'action politique,
donc illégitime et étrangère à la mission du syndicalisme. Il faut donc, selon l'auteur, questionner
les raisons internes qui banalisent le racisme afin de trouver des formes spécifiques de lutte
antiraciste : d'une part, sortir de la loi du silence qui couvre souvent le racisme dans
l'entreprise, et inscrire pleinement cette lutte dans l'activité syndicale, loin des sirènes
politiques du dehors. Eviter donc l'enfermement dans un combat contre le Front national sans
y renoncer pourtant afin de distinguer le message syndical du message proprement politique.
En clair, faire la promotion des identités au travail et la défense des intérêts des travailleurs.
Le monde du travail est aussi concerné par l'enjeu de l'intégration. Il doit penser la différence
culturelle tout en luttant contre les inégalités liées à la discrimination à l'embauche,
l'ethnicisation des tâches, et l'entrave à la progression dans les carrières.
Achour OUAMARA
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RAISON ET CONVICTION - L'ENGAGEMENT
Ss dir. de Michel Wieviorka. Ed. Textuel, 1998, 173 p
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L'époque que nous vivons semble hésiter entre une représentation crisique
et une représentation mutante de notre société, où l'idée même de "société" est devenue problématique.
Les signes sont pléthores et, il faut bien le dire, douloureux de cette oscillation qui marque une
transition aux horizons non encore clairs. Dans cet entre-deux, les pires des scénarios sont parfois
avancés, alimentés par l'hypothèse d'une perte de sens se déclinant par un narcissisme individualiste
ou communautariste dans le cadre du triomphe de la logique économique du libéralisme...
L'engagement est un des signes forts de cette dynamique vue la double
implication, pourrait-on dire, de cette fonction : moteur et "objet" de cette transition."Les
lieux classiques de l'engagement semblent (certes) aujourd'hui en grande difficulté, à la base
comme au sommet, dans l'ordre intellectuel comme dans l'ordre politique". Mais faut-il en rester
à cette partie sombre du constat ? Ce n'est pas ce à quoi nous invite "Raison et conviction,
l'engagement". Réflexion collective animée par Michel WIEVIORKA, elle nous sensibilise aux
nouvelles formes d'engagement, aux nouvelles pratiques qui renouvellent la citoyenneté. M.
Wieviorka partant non du haut (figure de l'intellectuel), mais du bas (la mobilisation de
la base, là où associations et syndicats constituent le terreau de la vie collective),
s'attache à configurer cet engagement autrement de l'individu contemporain, moins sacrificiel
à une cause que conciliateur des aspirations générales et de choix individuels, dans des paysages
renouvelés, notamment le paysage culturel et identitaire, lié à l'immigration. Formes et champs
nouveaux qui rencontrent encore beaucoup d'incompréhension mais qui s'avèrent mobilisateurs et
mettent dans une plus grande exigence les représentations courantes de la démocratie.
Dans une perspective plus historique, Michelle PERROT retrace la généalogie
qui conduit
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de l'intervention ponctuelle à l'engagement, dont l'affaire Dreyfus fut le moment
charnière, engagement qui suppose l'identification d'une cause centrale (la question sociale)
et celle d'acteurs majeurs (le peuple puis la classe ouvrière) et "une mobilisation constante,
du temps et de la vie". Puis, après 68, se dessine un nouveau type d'engagement, plus conforme
à l'incertitude et à l'aléatoire qui règnent. Aujourd'hui, l'engagement nécessite des "formes
d'accord entre soi-même, le mouvement politique et le travail intellectuel", il réconcilie
"les passions et les intérêts".
En psychologue social, Serge MOSCOVICI esquisse les dynamiques évolutives de
l'engagement : de "la passion révolutionnaire" à une place relativisée de l'intellectuel dans la cité,
en passant par le rôle critique assigné aux sciences sociales. La notion d'engagement reste cependant
"nouvelle", relève d'un "choix" et d'une "passion de justice" aujourd'hui.
Pierre PACHET, en homme de lettres, témoigne des nouvelles modalités
de l'engagement à travers des "Comités" auxquels il a participé, rassemblant quelques individus
prêts à réfléchir et à inventer, "mus par une cause particulière". Modalités positionnées autrement
que la "conception de l'organisation, issue surtout du communisme".
Nicole NOTAT, secrétaire générale de la CFDT, explique enfin comment, dans
cette confédération, "une révolution culturelle" s'est opérée par un travail et une réflexion internes
dont l'objectif est "de se réapproprier cette fonction syndicale majeure qu'est la critique sociale"
par une méthode qui "rétablit le connaître et le comprendre au titre de nécessité constitutive de
l'action elle-même". Une sorte d' "engagement distancié" en somme, d'avec "la mentalité sacerdotale
d'autrefois".
Abdellatif CHAOUITE
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