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u'il soit laudatif ou péjoratif, le discours ayant pour objet l'immigré s'emploie
à présenter celui-ci sous les traits de la résignation, toutes joies éteintes, ridé
par ses problèmes et dénué d'armes autres que ses larmes pour dire sa condition.
C'est même sous ces traits que le discours immigrophile, combien serait-il sincère,
trouve parfois argument pour le défendre non sans un soupçon de commisération.
Les situations pénibles et les lieux d'ostracisme ne
manquent pas, hélas, à l'exercice du rire d'exclusion, à la remarque désobligeante, à la
raillerie, aux sarcasmes, aux écarts ineptes de langage, à ces moments qui, sans la
distance que requiert l'humour désarçonnant, déchaîneraient tout le feuilleté d'affects
du discriminé.
C'est une évidence, l'humour est une des formes de grippage
des rouages de la machine discriminatoire. Précisément, si l'on s'intéresse peu ou prou à
la parole de l'immigré et de ses enfants, hors et loin des discours rationnel et institutionnel,
on y décèlera l'aventure d'un langage qui exorcise de biais ces multiples mésaventures sous le
registre du retournement et du détournement du vécu, et ce par toutes sortes d'artifices où le
rire, l'(auto)dérision, l'ironie, qui transforment les tracasseries administratives et la
noirceur du racisme en juteuses cocasseries, et confrontent l'hostilité de l'accueil à cet
art de la sagesse proverbiale qui excelle dans la contre-stigmatisation.
Humour se conjugue aussi avec humeur. Offensif, il a plus tendance à
châtier les mœurs qu'à travailler à la catharsis. Défensif, il peut tomber dans le piège de l'altérité
faussement attendrissante. Dès lors, il faut rire de soi avant d'être l'objet du rire. C'est aux Arts
immigrés, au premier rang desquels la littérature et le théâtre sous toutes ses formes, que l'on doit
l'ouverture des écluses de cet humour rabelaisien, aussi féroce que léger, où le mektoub s'ironise à
souhait, l'inchallah se moque de la patience, l'éclat du rire apaise les écueils de la culture
d'origine et d'accueil.
Qu'on ne s'y trompe pas, rire de son malheur ne signifie pas
son acceptation, l'immigré s'en sert comme une brosse de chantier dont chaque coup silencieux
balaye au loin un peu de sa vulnérabilité.
Il peut paraître inopportun de livrer un numéro sur l'humour
dans une actualité de larmes en ce septembre 2001. Mais le lecteur comprendra aisément
que les échéances d'une revue ne sauraient en être comptables. Du reste, il est à craindre que
l'émotion légitime, quoique sélective en ces temps de feu, ne ravive les vieux démons de la
chasse au faciès.
Malgré tout, le rire n'exclut pas la compassion.
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