EDITORIAL
Abdellatif CHAOUITE



u moment où nous engagions ce numéro, appelant dans l'argumentaire à contribuer au dévoilement des histoires de vie de migrants et de ceux qui sont héritier, de mémoires parentales migrantes pour poser un acte symbolique (acte de lien et de reconnaissance) au profit du présent et de l'avenir, et en écho avec d'autres initiatives locales, régionales et nationales, une série d'actes inqualifiables à Grenoble et dans la région est venue nous rappeler qu'un autre type de mémoire, la mémoire diabolique (acte de désunion et de guerre) ou «la mémoire du mal» (Tzvetan Todorov) ne baisse jamais la garde.

      Des propos et des actes racistes ont eu lieu à différents endroits avec, par moment, une sauvagerie qui s'est voulue délibérément terrorisante : portant ses coups (des coups cagoulés d'hommes ne supportant pas leur propre visage ? des coups de la haine-de-soi ?) au cœur même de l'intime.  L'intime de l'espace symbolique : dans le lieu de l'exposition sur la mémoire de l'immigration maghrébine en Isère, en pleine conférence de l'historien Mohamed Harbi et l'intime de l'espace et du corps humain : l'agression de Madame Ch.Daoud chez elle.

      Ces actes qui signent comme un retour du refoulé de la mémoire font écho, dans le même temps, à d'autres : violents en Espagne, politico-idéologiques en Autriche, plus diffus ici et ailleurs (discriminations diverses, retour de théories eugénistes ... ). Un néo-fascisme se réveille ainsi sous plusieurs visages et tente différentes stratégies (idéologiques, activistes, politiques ... ) pour banaliser le retour pulsionnel des forces primaires de la haine, de la dissolution des liens et de la ruine des mémoires et des processus de subjectivation et de socialisation dont elles sont garantes.

       Même sous couvert d'un national-populisme qui se veut parfois feutré, ce retour serait anachronique avec les défis qu'annonce le nouveau siècle. Cependant, l'actualité même de l'histoire nous apprend que finalement, la société humaine n'est jamais que ce que les hommes décident d'en faire. Il ne suffit donc pas de compter, même de manière indignée, sur l'anachronisme mais de conduire une réelle politique vigilante et volontariste, avec de vrais engagements institutionnels à tout niveau, face à ce spectre.

      Progressivement, ces deux dernières décennies ont vu s'épanouir une sensibilité et un appel à la mémoire dans des domaines qui étaient trop souvent livrés à l'amnésie (histoires de vies banales, immigrations, guerres et événements inavouables ... ). Ce sont l'affolement et les souffrances du temps présent et les grandes incertitudes qui pèsent sur l'avenir qui font cet appel. La mémoire devient dans ce contexte une sorte d'anamnèse, une élaboration, un travail collectif de lien et de dépassement des blocages, nécessaires pour penser et porter ensemble le présent et rêver l'avenir.

      Cette tâche contribue à l'exigence de la vigilance, vigilance à ne pas laisser se créer une confusion entre certains 'fantasmes et la réalité dont l'histoire nous apprend à quelle néo-réalité délirante et désastreuse elle peut conduire


~ Ecarts d'identité N°92 ~ Mars 2000 ~
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