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n ces temps où, au coeur même de l'Europe, l'archaïsme nationalo-ethnique épure, de
la manière la plus barbare et la plus éhontée, les lieux de sa fiction mémorielle
de toute trace de la mémoire indésirable de l'Autre, les Droits de l'Homme sont plus
qu'une idée, plus qu'un idéal. Ils sont la règle, la valeur à partir desquelles toute
responsabilité se mesure. Si l'homme est de droit, c'est en tant qu'il a à répondre
de cette humanité, à répondre de son autre-semblable...
Les situations auxquelles se réfère ce numéro
sont évidemment différentes à tous égards de ce qui se passe au Kosovo. Il s'agit
ici néanmoins de l'Autre, et de l'Autre tel que son altérité même se révèle une
mise à l'épreuve de l'effective traduction des Droits de l'Homme. Tout se passe,
dans ces situations, comme si, à partir du moment où l'Homme présente un quelconque
signe d'altérité ou d'écart par rapport au maître-étalon, l'épreuve est là et,
faisant partie de cette épreuve, le risque, potentiel ou réel, d'une lecture
imaginaire pour le moins limitative des droits de celui qui est perçu comme
Autre avant de l'être comme Homme...
Son accès au territoire, c'est-à-dire sa présence même,
est toujours kafkaïen, et s'il y accède, ou n'a pas à le faire parce qu'il y est -- avec ou
sans le statut de citoyen--, certaines places sociales lui seront, quelques unes de droit
d'autres de fait, barrées. Et, si la vigilance, le droit et/ou la ténacité lui font sauter
ces barrières, il restera encore l'impalpable imaginaire pour lui renvoyer qu'il est un
atopos... Tout le dilemme est en fait là : les Droits de l'Homme ne sauraient avoir un
champ d'application réservé ou des frontières --physiques, politiques, sociales,
culturelles...-- que dans une optique «ségrégationniste», mais l'homme institué par
les différents droits (les "droits" réels et imaginaires de l'autochtonie) reste
empêtré dans ces frontières qui biaisent son regard sur lui-même et sur les autres...
D'aucuns jouent cyniquement de cette aporie, d'autres
la résolvent dans une morale de la tolérance et de la générosité humanitaire. Mais si
les Droits de l'Homme semblent devoir tenir aujourd'hui --dans l'aujourd'hui de
l'intensification des rapports à tous niveaux-- la place du commandement
qui peut faire éviter la construction d'entités «meurtrières» et du cercle
pervers des violences et contre-violences, n'est-ce pas à rendre leur
logique et leur symbolique plus efficaces que l'on devrait s'atteler ?...
Dans ce numéro, on trouvera différents échos de
ces préoccupations. Tous débusquent les zones de friction où l'Autre, qu'il soit
réfugié, membre d'une famille, prétendant à un emploi ou qu'il soit analyseur de
l'imaginaire social ou des droits républicains... met à l'épreuve les Droits de
l'Homme. Et, comme en contrepoint, une voix singulière court tout le long.
La voix anonyme d'un Autre qui s'est retrouvé sans papiers et sans droits.
Cet Autre a bien voulu nous confier quelques extraits de son «journal» tenu
le long de ces années de privation. Sa voix dit le sentiment de catastrophe
et de désespoir de l'homme sans droits.
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