ans doute faut-il d'abord rappeler qu' "il n'y a pas d'hospitalité sans mémoire. Or une mémoire
qui ne se rappellerait pas le mort et le mortel ne serait pas une mémoire" (J. Derrida).
Permettons-nous donc, dans ce lieu de mémoires en écarts, une pensée hospitalière à celle
du regretté Abdelmalek Sayad. La rigueur de sa réflexion continuera à nous accompagner
bien qu'il faille lui dire ici Adieu cher ami.
La pensée dans sa rigueur exige de nous également l'accueil
de la vie par-delà nos deuils. Nous espérons dans ce sens que nos lecteurs accueilleront cette
nouvelle formule de notre revue comme le signe d'une vie qui rebondit. Elle répond au souci
d'une plus grande cohérence entre sa forme et son contenu, en quête toujours d'un même objectif :
une revue alliant sobriété et qualité.
Si hasard et nécessité ont ainsi fait que ce nouveau pas fasse
coïncider le thème de l'accueil et un nouveau format à accueillir, il fut surtout l'occasion de
re-questionner aujourd'hui cette expression -- accueillir l'étranger -- aussi vieille qu'urgente
par ce qu'en a fait ce même vieillissement : la couvrir d'un voile d'âge et de banalité.
Qu'est-ce à dire ? De là où commence la question de l'accueil,
-- ce qu'il faut demander ou non à l'étranger pour l'accueillir (J. Derrida) -- aux témoignages
des accueillants et des accueillis, en passant par les contributions de ceux qui, de France,
de Suisse, d'Italie, de Belgique ou du Québec, nous ont fait l'amitié ici d'être nos hôtes,
un nœud se dessine. On pourrait le dire ainsi : l'accueil de l'étranger interroge les
fondements mêmes de ce qui fait société, culture, citoyenneté...
Irréductible aux catégories techniques dans lesquelles
les discours habituels l'enferment, l'accueil révèle l'état des frontières, des
"identités" à la croisée du singulier et du collectif, l'état des aptitudes au don et
à l'échange à une époque où toute certitude, limitative, est soumise à rude épreuve.
L'étranger révèle la Cité. Ce fut et cela reste vrai.
Il révèle la tension constitutive de chaque lieu, de chaque discours, de chaque éthique,
de chaque procédure ou politique d'accueil entre les privilèges accordés aux "siens" et
la place consentie (d'intégration conditionnelle ou d'illégitimité) à l'a-topos, à
l'étranger, de statut ou d'histoire. C'est ce qui court en filigrane dans les contributions
de ce numéro, du local, au national, et à l'international. C'est ce à partir de quoi,
un accueil authentique -- qui ne fige pas le rapport à l' "étranger" sur un seuil imaginaire
-- ouvre à une intégration authentique -- qui ne renvoie pas constamment la reconnaissance
de celle-ci dans un temps indéfini.
L'étranger, ce visage "qui sans cesse (se) retourne et
me détourne" (V.Elfakir) me remet en mémoire l'hospitalité première, le don premier qui me
fait être dans un monde toujours déjà-là. L'accueil, un don de la vie ?
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