EDITORIAL
Abdellatif CHAOUITE



Ceseda (Code d'Entrée et de Séjour des Etrangers et du Droit d'Asile). Le sigle, hasardeusement, sonne aussi âpre que le code qu'il décline. Il est moins Sésame, clé qui ouvre les portes d'entrée, que code secret destiné à quelques élus choisis, moins mot de passe qu'ordre d'impasse. Sa philosophie, résumée (performance communicative en soi) dans le fameux slogan " immigration choisie, immigration subie " réussit le tour de force, sous couvert de lutte contre l'immigration subie, d'inscrire l'immigration dans le paradigme de la globalisation économique : la concurrence et la précarisation du salariat le moins nanti. Cette politique opère une inversion d'optique : l'immigration n'est plus désormais une " chance pour la France ", mais n'est plus perçue non plus comme une calamité dont il faut chercher le degré " zéro ". Elle est à la fois une contrainte (groupes d'intérêts et vieillissement de la société obligent), une conséquence directe de la globalisation et un spectre incontournable des politiques d'opinion. Il fallait donc réagir, agir sur ces deux versants : " choisir ". Le mot résonne politiquement habile : mieux que des quotas, mieux qu'une sélection fonctionnelle, c'est une véritable élection. Les conditions draconiennes, la précarisation de tout projet d'installation qui reconduit la présence provisoire (habillée aux couleurs des mobilités circulaires ou saisonnières), l'obligation de s'intégrer, etc. le nouveau modèle ne craint pas le paradoxe : toute arrivée (non " rejoignante ") doit avoir pour horizon un départ et, dans l'entre-deux, doit être soumise à une intégration contractualisée (ce modèle invente l'intégration provisoire ou, comme le dit tout aussi bien le slogan politique adverse " l'immigration jetable "). Et ne parlons pas de la mise dans le même code de l'immigration et de l'asile, fin stratagème pour suspecter l'un par l'autre : toute demande d'asile cache désormais une fausse immigration et toute migration rendue illégale vient nourrir la suspicion de l'asile. Après avoir inventé les figures du " faux " et du " vrai " demandeur d'asile, les politiques inventent celles du " bon " et du " mauvais " immigré. Grand retour légalisé du vieux stéréotype inusable : l'autre (non choisi) comme menace.

Certes, une généalogie aussi bien des lois (à partir au moins de la première loi Pasqua en 1986) que des représentations politiques et formules choc qui les ont accompagnées montrerait que la " chose " n'est pas nouvelle qu'elle est inscrite même dans la " pensée d'Etat " (A. Sayad) en tant que pensée et prérogative de démarcation entre le national et le non-national, etc. Certes, n'est-elle pas l'apanage de la France non plus : pays de l'Europe comme de l'Amérique la pratiquent, de manière plus ou moins agressive. Ces constantes n'empêchent cependant point la nécessité d'un travail de contextualisation : comment comprendre cette évolution des politiques migratoires en pleine globalisation économique, elle-même à la base du " développement des phénomènes migratoires " ? Comment comprendre qu'au moment même où les dynamiques sociales de ces dernières années profilent la promesse d'une reconnaissance des apports de l'immigration passée et à venir, cette loi renoue avec les pires moments des représentations désastreuses sur l'immigration ? Quelles répercussions aura-t-elle sur les " immigrés " (et sur ceux qui leur sont assimilés par l'imaginaire social) déjà installés ? Dans quelle société et dans quels genres de rapports sociaux cet " eugénisme politique " nous projette-t-il ?...
Ce numéro s'arrête de manière critique sur ces questions, manière d'établir des liens de compréhension, aussi bien diachroniques que synchroniques, avec un contexte dont le moins que l'on puisse dire est qu'il se dérobe aux catégories de pensée classiques.


~ Ecarts d'identité N° 109 : "immigration choisie, Précarisation subie" ~ décembre 2006 ~
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