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Traces. L’horizon de ce mot est vertigineux, les horizons même tant ce qui est n’est et ne perdure qu’en faisant trace aux destins divers. Sans doute, l’audace et l’intelligence des acteurs rhône- alpins résident d’abord dans le choix même de ce mot pour nommer leur projet sur les mémoires des immigrations dans la région. Audace car ce chantier n’est exempt ni des ruines calculées de ces mémoires ni de possibles manipulations de leur mise en exergue. Intelligence car tout en faisant acte ou trace de ces mémoires, c’est d’interroger cet acte même ou cet usage qui fut également au cœur de cette initiative.
Traces, forum régional des mémoires 2006, fut ainsi une délibération sur les mémoires de l’immigration autant qu’un acte commémoratif. Rien n’y a manqué. Les expositions des traces, les créations à partir de ces traces, les outils de leur fabrique et les interrogations et débats autour d’elles. Il faut rappeler ici que les acteurs associatifs, initiateurs de cette action (Aralis à Lyon, Peuplement et migrations à Vénissieux, Adate à Grenoble, le Grain à saint Etienne) n’ont pas répondu à un appel ou à une commande de contexte mais ont contribué et milité depuis des années, avec d’autres et chacun à sa manière, à construire et à légitimer cet appel. L’appel d’un travail de mémoire et d’un travail sur les mémoires des immigrations, l’appel en somme d’une « politique de la juste mémoire » (P. Ricoeur). Appel entendu : la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration (CNHI) ouvrira ses portes en 2007. Mieux : Traces vient de faire la « démonstration » (W. Hissar-Houti) que le concept original défendu (Musée + réseaux régionaux d’acteurs) est possible. Il reste à espérer évidemment que l’essai rencontrera de réelles volontés politiques pour le transformer !
Bien sûr tout travail de mémoire réveille aussi des hydres (par exemple, la loi du 23 février 2005 qui glorifie le fait colonial), bien sûr peut-il connaître la faiblesse de se « substituer » (M. Belbah et S. Laacher), comme l’ombre à la proie, au travail politique sur ses objets et bien sûr toute relecture mémorielle n’est pas exempte de doxa, etc. Cependant, c’est de débusquer et de soumettre à l’examen de l’exigence scientifique ces refoulés ; de légitimer les mémoires de l’immigration comme objet politique ; de les transmettre comme éléments du cadre social global et non comme un « impensé de l’identité nationale » (B. Falaize) etc. qui ouvre également les voies des dépassements nécessaires dans un présent en mutation.
Dans ce présent qui annonce de nouvelles problématiques liées aux migrations (espaces transnationaux, extension des réalités diasporiques mais aussi nouvelles volontés d’instrumentalisation et de précarisation des mobilités, etc.) la question des tatouages des territoires et des mémoires par les apports migratoires, recèle des enjeux aux facettes diverses : de justice et de vérité autant que de création et de démocratie. Dire ces traces, c’est aussi une façon de faire mémoire.
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