EDITORIAL
Abdellatif CHAOUITE
Paul Bron




«D roits fondamentaux de la personne, souveraineté de l’Etat et demande de protection pour raison de persécution : tels sont les ingrédients qui composent la réalité du champ « demandeurs d’asile ».
Ce champ a connu un certain équilibre tant que le législateur distinguait, de droit et de fait, par deux lois différentes (l’ordonnance de 1945 réglementant l’entrée et le séjour des étrangers et la loi relative à l’asile adoptée en 1952 suite à la Convention de Genève) la figure du réfugié des autres figures de l’étranger.
En revanche, le passage à un Code sur l’entrée et le séjour des étrangers et le droit d’asile, a contribué à fabriquer un profil flottant et incertain des deux. Cette stratégie, cumulant les effets performatifs de la loi et les glissements idéologiques, a créé un flou artistique aux conséquences multiples : la suspicion de « faux » portée sur la figure du demandeur d’asile et la délictualisation de la présence qui en découle pour les déboutés ; une politique restrictive des droits (droit au travail, à l’installation…) ; un accueil minimaliste suspendant la présence dans une attente existentiellement dramatique ; une situation psychologiquement fragilisante pour les enfants accompagnateurs, etc. C’est peu dire que le paradoxe est le propre de cette stratégie, partie intégrante des conséquences contraignantes d’une globalisation qui impose et empêche en même temps les déplacements.
Ce paradoxe transforme certains déplacés en objets d’un renvoi de la balle entre pays de départ, d’arrivée et de passage : des déplacés mis en orbite (S. Laacher).
Le demandeur d’asile statutaire bénéficie de droits qui devraient en principe lui éviter cette mise en orbite ou cette « désaffiliation » pour le repositionner comme « sujet de droit » et « sujet politique » (D. Belkis et S. Franguiadakis). Il n’empêche que ce statut, « réinterprété » depuis la Convention de Genève, introduit une suspension, une mise en attente, un provisoire autrement dit dans l’autorisation de « demeurer » et de faire sujet par sa présence même.
Ce provisoire en rappelle un autre qui avait marginalisé les « travailleurs étrangers » d’antan et mis leurs familles dans l’incertitude. Il transforme les conditions de la présence en un condensé de fragilisations déviant l’objectif initial de protection : manque de lieux pour héberger et contenir l’attente, précarisation du mode de vie (droit au travail restrictif), potentialisation traumatique de l’incertitude sur le devenir, suspicion qui entache la démarche, atteintes à la santé mentale et physique, etc. Tels sont en tout cas les signes-symptômes décrits, dans ce numéro, aussi bien par les observateurs, les professionnels et militants accompagnateurs des demandeurs d’asile que par ces derniers mêmes. Ce faisant, c’est la potentialité d’une dérive qui se précise : de la clarté d’un droit, d’une reconnaissance et d’une responsabilité politique d’accueil, on s’achemine vers la construction d’un « problème social » à gérer et d’une nouvelle « minorité invisible » privée de possibilités d’expression et de concertation. La responsabilité (politique) de l’hospitalité nous commande sans doute une autre approche : faire de l’accueil un « impératif » (S. Laacher) pour ceux dont le déplacement dépend moins d’un choix que de la possibilité d’être réintégrés comme sujets de droit.
C’est ce que les acteurs de terrain s’échinent, de nouveau, à réaliser.


~ Ecarts d'identité N° 107 : "Les demandeurs d'asile - espoirs et déboires" ~ décembre ~
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