Interculturalité et Travail Social

Jacques BAROU *



La contradiction à résoudre par le travail social : l'attention aux spécificités ou l'égal traitement, est éclairée ici par un double regard : historique (les "précédents malheureux" des services spécifiques en France) et comparatif (Allemagne, Pays-Bas). L'horizon de la solution est dans la "vocation initiale" même du travail social : la "construction d'un espace d'échange entre les usagers".

es pays industriels développés qui ont inventé le travail social dans un contexte de transformation sociétale interne sont, depuis une trentaine d'années, concernés par l'arrivée puis par l'installation de populations immigrées en provenance d'aires culturelles de plus en plus variées. La globalisation de l'économie qui s'est accentuée au cours de cette même période a transformé aussi le cadre dans lequel on pouvait penser l'intégration des immigrés et agir en sa faveur, entre autre par le biais du travail social.


   Les conséquences de cette mondialisation, qui se sont surtout traduites par la précarisation de l'emploi, ont contribué à modifier les attitudes des immigrés par rapport à la société dans laquelle ils s'installaient.

   Cette société ne leur offrant plus les mêmes garanties quant à l'avenir, ils ont été amenés à chercher ailleurs les ressources susceptibles de les aider à surmonter leurs difficultés. Ceci amène à repenser les finalités du travail social qui a toujours agi en direction des immigrés avec le souci de les rapprocher des normes dominantes dans une société fondée sur des valeurs à prétention universelle et qui a longtemps rencontré un certain succès dans cette entreprise.

Les finalités du travail social par rapport à l'immigration


   Pendant longtemps, les immigrés dits de la première génération quittaient une société dans laquelle ils espéraient toujours revenir finir leur vie mais en ayant souvent conscience que leurs enfants, eux, n'y reviendraient pas et devraient chercher à s'installer définitivement dans le pays où ils les avaient conduits. Ils considéraient qu'en émigrant, ils donnaient à leurs enfants une chance de vivre dans une société qui leur offrait des chances de réussite sociale et professionnelle qu'eux-mêmes n'avaient jamais eues. Dans cette perspective, beaucoup encourageaient leurs enfants à s'assimiler culturellement et politiquement à leur pays de résidence et se résignaient à les voir oublier les valeurs de leur culture d'origine. Si le processus d'intégration individuelle qui a longtemps caractérisé le devenir des immigrations étrangères en France a si bien fonctionné, c'est parce qu'il suscitait une certaine adhésion chez les immigrés eux-mêmes.

   Le monde du travail apparaissait comme assez accessible et assez ouvert pour favoriser la mobilité sociale ascendante d'une génération à l'autre. L'espoir d'une vie meilleure pour les enfants dans une société valorisée dans son ensemble essentiellement parce que plus riche et plus libre pouvait apparaître alors comme assez crédible pour que l'on choisisse de supporter les manifestations de rejet dont on pouvait être de temps à autre les victimes et pour que l'on accepte également, jusqu'à certaines limites, il est vrai, l'abandon par les enfants de leur identité originelle. Ayant défini de façon suffisamment cohérente un projet d'avenir pour leurs enfants dans la société d'installation, certaines familles immigrées n'étaient guère demandeuses de l'appui des travailleurs sociaux. Elles identifiaient elles-mêmes les droits qui leur étaient accessibles et les normes auxquelles il fallait se conformer pour "réussir" et surtout favoriser la réussite de leurs enfants dans la société d'installation. Les handicaps sociaux de départ n'ont pas empêché la mise en place de ces projets. Beaucoup de personnes issues de l'immigration prolétaire des années de plein emploi se souviennent que leurs parents, malgré leur illettrisme, parvenaient à suivre leur scolarité avec rigueur et vigueur et savaient les motiver à la réussite. Cette intégration silencieuse, sans revendication de reconnaissance d'une identité particulière amenait les gens à limiter l'expression de leur culture à la sphère de la vie privée ou à des manifestations communautaires relativement discrètes.

   Quelle pouvait être la finalité du travail social face à de telles populations ? Il pouvait limiter son action à sa vocation première qui était de faciliter l'accès à l'autonomie des familles et des individus en agissant de manière à se rendre rapidement superflu. C'est ce qu'il a fait en direction de certaines populations immigrées qui l'ont sans doute beaucoup moins sollicité que les familles françaises défavorisées.

   Pourquoi a-t-il fallu toutefois définir, vis-à-vis d'autres populations immigrées, une forme de travail social particulier ? Dans quelle mesure une prise en compte discutable de l'originalité culturelle de ces populations s'est-elle développée pour aboutir en fin de compte à les rendre dépendantes des institutions plutôt que de faciliter leur accès à l'autonomie ?

Quelques précédents malheureux


   La prise en compte de telles catégories de populations s'est faite par le biais de la création de services "spécifiques" qui, tout en gardant un statut public, représentaient tout de même une exception au principe du traitement égal pour tous dans le cadre du droit commun. Le caractère provisoire que revendiquaient ces services n'a pas empêché certains d'entre eux de se pérenniser. A l'origine, ils ont été créés pour traiter le cas de populations immigrées caractérisées moins par une non citoyenneté juridique que par divers handicaps socio-économiques et par une originalité culturelle perçue souvent comme un handicap pour trouver une place dans la société d'accueil.

   C'est ainsi qu'en France, dans les années de l'après seconde guerre mondiale, on a créé plusieurs services spécifiques pour les immigrés algériens en métropole, les F.M.A. (Français Musulmans d'Algérie) selon le sigle officiel à l'époque. Ceux-ci possédaient pourtant alors la nationalité française mais connaissaient des conditions de vie extrêmement précaires et étaient victimes de diverses discriminations. Au niveau du travail social, le volet de cette action spécifique était le S.S.N.A., service social nord-africain, ancêtre de l'ASSFAM qui garde aujourd'hui encore une vocation plus affirmée vis-à-vis des familles immigrées. Il a existé ensuite, à partir de 1962, une administration spécifique pour les Français musulmans rapatriés qui s'est longtemps substituée au droit commun et qui comportait aussi ses services sociaux propres.

   Est-ce le paradoxe vécu par ces populations, françaises sur le plan juridique mais perçues comme très étrangères sur le plan culturel, qui a été à l'origine de cette initiative visant à développer un travail social spécifique dans leur direction ? Il y a eu incontestablement à l'origine une volonté de tenter de faire coïncider l'identité nationale avec l'identité culturelle, ce qui s'est traduit par une incitation brutale à l'assimilation. Ainsi, certains travailleurs sociaux qui intervenaient auprès de familles d'anciens harkis rapatriés en France après l'indépendance de l'Algérie, leur imposaient parfois de donner des prénoms français à leurs enfants. Dans un tel contexte, l'identité culturelle n'a été prise en compte que de manière négative, puisqu'il s'agissait d'amener les gens à se nier eux-mêmes, au niveau formel tout au moins, et à se donner l'air d'être ce qu'ils n'étaient pas.

   Cette action sociale spécifique a fonctionné dans le paradoxe le plus total. Ces familles que l'on incitait à se considérer comme culturellement françaises étaient reléguées souvent dans un habitat spécifique éloigné des villes et des lieux de brassage, et souvent encadrées par leurs propres notables qui les maintenaient dans un isolement social favorable à la perpétuation de leur domination. Beaucoup de phénomènes de clientélisme politique se sont organisés autour de cette organisation spécifique, freinant l'accès des jeunes à une conscience de citoyenneté. L'incitation à se vouloir culturellement français menée parallèlement à cette politique de mise à l'écart et de réduction à l'état de dépendants sociaux ne pouvait manquer d'engendrer des comportements schizophrènes chez certains jeunes élevés au milieu de telles contradictions.

   Il existe d'autres exemples de ce type en France et dans divers pays développés. L'action sociale spécifique conduite en direction de certains groupes définis culturellement aboutit souvent à renforcer leur marginalisation et à diminuer leurs capacités d'organisation autonome. C'est le cas de certaines populations tsiganes dans divers pays d'Europe et de certaines minorités amérindiennes au Canada.

   Le bilan que l'on s'accorde aujourd'hui à faire de telles initiatives est plutôt critique. Il ne disqualifie pas pour autant toute velléité de prise en compte de la dimension culturelle dans le travail social même s'il éveille une méfiance légitime par rapport aux contradictions désastreuses auxquelles cette prise en compte peut conduire quand elle aboutit à une particularisation des populations qu'elle vise.

La revendication communautaire


   En France, la doctrine qui continue de faire référence est toujours d'éviter de mener un travail social spécifique visant telle ou telle catégorie de population. Les services de droit commun doivent pouvoir traiter tous les cas, même si dans la pratique, on délègue de plus en plus au secteur associatif de nombreuses missions d'intercession entre les institutions publiques et certaines catégories d'usagers, au point où certaines associations qui revendiquent une connaissance pointue de telle ou telle population deviennent dans les faits les interlocuteurs permanents de cette population en question.

   Le contexte de l'immigration a changé. Dans les quartiers où se concentrent les difficultés, il devient difficile de maintenir le lien social. Les facteurs qui permettaient de "faire société" à partir de la diversité locale tendent à disparaître. Il n'y a plus d'identité de classe susceptible de transcender les identités familiales et communautaires. Il n'y a plus de grande cause aux enjeux clairement perceptibles pour tous qui puisse fédérer les intérêts divergents. Les habitants sont donc amenés à chercher dans leur culture ou dans ce qu'il en reste les ressources nécessaires pour maintenir une cohésion, au moins au niveau familial, ou au niveau du proche environnement social.

   Dans cette quête d'un ferment improbable de stabilisation, les valeurs que l'on perçoit comme culturelles deviennent un précieux capital pour retisser du lien social et elles sont souvent en conséquence idéalisées et pensées en dehors du contexte où elles se sont construites. L'intervention des travailleurs sociaux missionnés par les pouvoirs publics est alors ressentie comme porteuse d'une finalité normative insupportable qui vise à imposer une paix sociale sans offrir aucune gratification en termes d'ouverture aux ambitions individuelles ou aux volontés d'affirmation collective. Cette intervention est au mieux instrumentalisée ou au pire rejetée brutalement. Les agressions contre les symboles de l'action publique dans les quartiers : écoles, postes de police, centres sociaux, voire équipements sportifs, sont symptomatiques d'une réticence à accepter une "normalisation" sociale qui n'offre aucune compensation à la conformité qu'elle exige. Certains habitants des quartiers stigmatisés et certains leaders associatifs qui critiquent la politique d'intégration menée par les pouvoirs publics espèrent pouvoir trouver dans leurs cultures d'origine les moyens de reconstruire une solidarité locale et tentent de s'appuyer sur des communautés cohérentes pour assurer la promotion des individus plutôt que de continuer à faire confiance à la volonté formelle de traitement égalitaire de l'Etat et des services sociaux qu'il missionne dans ce but.

   Ils citent à l'appui de leur revendication le cas de certaines communautés qui leur paraissent assumer avec succès la prise en charge et la promotion de leurs membres en s'appuyant sur les valeurs de leurs cultures. Ils mentionnent volontiers l'exemple ancien des Juifs ou l'exemple plus récent des Chinois qui apparaissent comme la communauté la plus à l'aise dans le contexte contemporain de circulation migratoire tous azimuts qui s'appuie sur la construction d'une diaspora répartie aux quatre coins du monde. Ils semblent ignorer dans ces exemples l'importance de l'acquis historique d'une conscience identitaire et celle de l'ancienneté de l'expérience migratoire de même que les effets des persécutions nombreuses qui ont eu tragiquement pour effet de renforcer les solidarités et les capacités d'adaptation au statut de minorité toujours plus ou moins menacée.

   Ils citent également le cas d'autres pays d'Europe occidentale qui leur semblent avoir choisi le multiculturalisme comme ligne politique et délèguent le travail social aux organisations communautaires. De longue date déjà, il existe en France une certaine tentation chez certains responsables politiques de déléguer l'organisation de la vie sociale des quartiers dits en difficultés aux organisations communautaires qui sembleraient les plus à même d'instaurer un ordre qui soit avant tout une garantie de quiétude pour le voisinage. Ceci revient à mettre en cause la notion d'universalisme sur laquelle s'appuient les principes républicains d'égalité et d'équité et à se référer au relativisme culturel pour traiter des questions qui sont avant tout d'ordre social et économique.

La dimension sociale de l'identité culturelle


   La politique française peut-elle s'inspirer de l'exemple de certains pays d'immigration alors qu'elle s'est prétendue longtemps comme la meilleure possible, citant à l'appui de sa démonstration les nombreux cas de réussite individuelle qu'ont connu les enfants d'immigrés ?

Si le travail social doit prendre en compte la dimension culturelle de l'identité des populations auprès desquelles il intervient, on ne peut oublier qu'aucun groupe de population ne peut se définir sous sa seule dimension culturelle. Tout groupe est traversé de clivages sociaux. Les pays qui semblent avoir le mieux réussi dans une politique d'intégration s'appuyant sur le multiculturalisme sont ceux qui ont tenu compte du contenu social de la notion de minorité.    En Allemagne, les autorités de plusieurs Länder ont encouragé les communautés immigrées à assurer elles-mêmes un certain nombre de services à l'intention de leurs membres. Si cette délégation s'est souvent limitée aux secteurs cultuels, culturels et sportifs, elle s'est parfois étendue à des secteurs qui relèvent ailleurs davantage de l'initiative publique.    Ainsi, en Bavière, un cursus complet d'enseignement primaire a longtemps été organisé par les autorités du Land en collaboration avec les associations turques et les consuls de Turquie. Ce cursus s'est inspiré de ce qui existe en Turquie, avec la seule obligation d'apprendre l'allemand comme langue étrangère. Ce cas extrême de respect de la culture d'une communauté immigrée semble s'être révélé plus négatif que positif au regard du taux élevé d'échec aux examens de sortie de l'enseignement secondaire chez les enfants turcs scolarisés en Bavière. La prise en compte de la dimension culturelle et de la revendication formulée par plusieurs associations turques a abouti en fait à amplifier les handicaps sociaux de départ de cette population et à mettre les générations nées en Allemagne en position de se substituer à la génération de leurs pères, sur les mêmes segments du marché du travail et dans les mêmes strates de la société. Cette politique est aujourd'hui abandonnée par la plupart des Länder.

   On se trouve là au coeur de la contradiction que le travail social essaie de résoudre quand il s'adresse à des populations désavantagées. Un traitement qui se veut trop attentif à une spécificité ne risque-t-il pas en fin de compte de se révéler inégalitaire ? Existe-t-il une juste voie entre une action sociale qui conçoit l'égalité de traitement comme une abstraction et exclut de fait tous ceux qui s'écartent trop du modèle standard, et un service public qui, à trop vouloir prendre en compte l'originalité socioculturelle de certaines minorités, les maintient dans une position de quasi extériorité vis-à-vis de la société dans laquelle ils vivent ?

   La plupart des états accueillant un nombre important d'immigrés se sont posés ces questions sans les résoudre de manière satisfaisante. Si les politiques publiques d'accueil et de service ont connu bien des errements dans leur rapport aux immigrés et aux minorités, certains gouvernements ont tout de même été à même de tirer quelques leçons de leurs échec.

Repenser la notion d'interculturalité


   Les pays qui semblent prendre en compte de manière satisfaisante la dimension culturelle des populations visées par le travail social, sans pour autant tomber dans le travers du traitement spécifique, sont ceux qui ont une longue tradition d'évaluation de leurs politiques. Les Pays-Bas représentent à ce niveau un exemple intéressant. La philosophie dominante s'appuie à la fois sur d'inébranlables principes démocratiques et sur une vision très pragmatique de l'action publique.

   Jusqu'au début des années 1990, les Pays-Bas avaient conduit une politique de prise en compte étroite des besoins particuliers des minorités en définissant un certain nombre de groupes vis-à-vis desquels l'Etat se reconnaissait des responsabilités spécifiques.

   Ainsi ont été définis une quinzaine de groupes minoritaires représentant plus d'un million de personnes : immigrés, rapatriés, réfugiés, tziganes, nomades, etc.

   Ces groupes ont fait l'objet d'un appui particulier pour leur permettre à la fois de mieux faire valoir leurs droits en tant que citoyens néerlandais ou étrangers résidant aux Pays-Bas et disposer de possibilités d'expression culturelle. Des professionnels du travail social ont été recrutés au sein des communautés minoritaires pour répondre à leurs besoins et les encadrer dans leur démarche en direction des services publics. Ces travailleurs sociaux spécialisés auprès de telle ou telle communauté immigrée dont ils étaient souvent issus ont eu un rôle d'interprète, d'intermédiaire avec l'administration et d'animateur de groupe. Leur existence a souvent abouti à encourager les minorités à s'en remettre à eux pour toutes leurs démarches vis-à-vis des services publics, avec de temps à autre l'apparition de phénomènes de clientélisme.

   En 1990, un rapport d'évaluation de cette politique en a dénoncé les effets pervers. Après plusieurs dizaines d'années de vie aux Pays-Bas, nombre de migrants ne parlaient toujours pas le néerlandais et les comportements d'assistés se multipliaient chez eux. De plus, leurs rapports directs avec les citoyens néerlandais et les membres d'autres minorités étaient de moins en moins nombreux, que ce soit à travers le travail, l'habitat ou les espaces publics. On n'était pas dans une dynamique d'interculturalité favorisant les échanges entre des groupes différents mais au contraire dans un processus de segmentation de la société et de repli communautaire.

   La réponse à ce constat a été la mise en place d'une nouvelle politique, dite du renouveau social. L'échelle géographique de ce nouveau type d'action publique a été le quartier. L'administration s'est rapprochée des habitants en situant le cadre de son action dans le quartier de résidence des usagers qu'elle voulait toucher. L'action publique de restauration, d'entretien et de gestion des quartiers a été l'occasion d'une offre de participation envers toutes les composantes de la population locale.

   Le programme du renouveau social des quartiers comporte un certain nombre d'axes : création d'emplois, formation qualifiante, réhabilitation et entretien de l'espace bâti et des espaces verts. Mais il comporte surtout un travail de gestion du quartier qui met en contact les professionnels du travail social et les habitants des quartiers. Cette gestion embrasse tous les aspects de la vie quotidienne : accueil des nouveaux habitants, sécurité, action éducative, sanitaire et sociale, organisation du temps libre. Le quartier apparaît ainsi comme un espace public de type communautaire. La communauté n'est pas fondée ici sur le partage d'une identité ethnique, religieuse ou autre mais sur la densité des liens qu'entretiennent les habitants et les professionnels du fait des rencontres régulières qu'impose le système de gestion de l'espace quotidien.

   Pour autant, la dimension interculturelle que présente la plupart des quartiers populaires des grandes villes hollandaises n'est pas occultée. Elle est valorisée publiquement à travers les incitations qui sont faites aux associations immigrées de prendre des initiatives publiques à l'intention de toute la population. A travers l'organisation d'une fête publique, par exemple, une association communautaire immigrée peut à la fois faire connaître sa culture d'origine et s'intégrer dans l'espace social multiculturel du quartier.

   La décentralisation de services publics, très avancée aux Pays-Bas, avec des mairies de quartier disposant de compétences très étendues, facilite le dialogue quotidien entre les agents des services publics et les diverses composantes de la population locale.

   Est-ce là la bonne échelle de prise en compte de la diversité culturelle dans l'action publique ? Il semble en tout cas, que l'on soit passé de la prise en compte spécifique de la dimension culturelle de la demande des usagers par le biais d'intermédiaires gérant la relation entre les agents publics et la population, à une mise en relation plus large de l'ensemble des acteurs de la vie locale. La dimension interculturelle, au lieu d'être confinée à une gestion spécialisée, est amenée à s'exprimer dans l'espace public, dans un esprit d'échange et de partage. Au lieu d'être la spécificité d'un groupe, elle devient l'une des richesses de cet espace communautaire qui a pour base l'intérêt concret de tous les habitants.

   L'interculturalité n'est pas le développement séparé de groupes qui cultivent dans leur coin une identité culturelle dont ils surestiment toujours l'originalité. C'est au contraire une notion qui implique la rencontre, le partage, et inévitablement la transformation des identités culturelles en présence. Il est possible que cela fasse craindre à certains de perdre ce qu'ils croient être le caractère original et unique de leur culture. Mais les sciences humaines ont montré depuis longtemps que toute culture se construit à partir d'emprunts à d'autres cultures et que son dynamisme créateur est toujours lié au syncrétisme dont elle se nourrit. Les cultures qui refusent l'échange et le mélange se sclérosent et finissent pas ne plus reposer que sur la dangereuse volonté de maintenir leur pureté originelle.

   Le travail social peut contribuer à cette rencontre entre les cultures en construisant un espace d'échange entre les usagers auprès desquels il agit et en continuant à agir, comme c'est sa vocation initiale, dans le sens du rapprochement social des diverses couches de la population.

Jacques BAROU
(* Sociologue, CERAT-CNRS, Grenoble)


~ Ecarts d'identité N° 98 : "Sociétés multiculurelles & travail social" ~ Hiver 2001-2002 ~

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