Des foyers de travailleurs migrants
aux résidences sociales : quelles mutations ?
Gilles DESRUMAUX *
Celles-ci concernent
à la fois l'accueil de nouvelles populations précarisées, l'adaptation du bâti et des projets sociaux
des foyers et résidences sociales aux nouveaux besoins des résidents, à des usages différents et leur
inscription nécessaire dans la ville et les politiques urbaines. Il y a là un enjeu essentiel qui,
au-delà des populations immigrées vieillissantes, concerne toutes les personnes en situation de
précarité à la recherche d'un habitat transitoire ou de lieux de vie adaptés à leur situation
personnelle. Ces mutations, ces enjeux, les gestionnaires de foyers de travailleurs migrants
et résidences sociales ont décidé d'y faire face en se donnant à eux-mêmes par l'intermédiaire
de l'UNAFO les moyens d'accomplir les transformations devenues nécessaires.
Du foyer à la résidence sociale :
mutations 1. Résidents vieillissants, populations précaires et inadaptation des foyers
En quelques années, le visage des foyers a considérablement changé. Une véritable
transition démographique s'est opérée. Dans " Le phénomène du vieillissement dans les résidences
de la SONACOTRA " (Actes du séminaire de l'UNAFO, 1996), Marc Bernardot indique que le nombre
des plus de 60 ans (environ 10 000 personnes en 1995) a été multiplié par cinq en dix ans dans
les foyers SONACOTRA. Des projections montrent que la moitié des résidents seraient âgés de
plus de 55 ans en 2008 et 20% de plus de 65 ans. La même transition démographique s'observe
auprès des autres gestionnaires de foyers membres de l'UNAFO, sachant qu'au total, les foyers
hébergent près de 130 000 personnes.
Avec le vieillissement des résidents, c'est tout le rôle et la fonction des foyers qui se trouvent bouleversés. De lieux de passage temporaire, ils sont devenus pour partie des lieux de vie permanents pour des personnes dont le statut de " travailleur " tend à disparaître du fait du chômage, de problèmes de santé ou de la retraite. A coté de cette population " traditionnelle ", les foyers accueillent aujourd'hui une population nouvelle qui n'est pas spécifiquement immigrée et qui est constituée de personnes en situation de précarité qui trouvent dans les foyers un logement transitoire à faible coût. Progressivement, les foyers se transforment ainsi en " résidences sociales " de fait ou agréées par les pouvoirs publics. La coexistence des populations ne se fait d'ailleurs pas sans difficultés (2). Le bâti de ces foyers n'est plus aujourd'hui adapté aux besoins nouveaux des populations accueillies : chambres trop petites, unités de vie trop grande, prestations obsolètes, accessibilité difficile pour des personnes vieillissantes. Mais au-delà de l'adaptation du bâti déjà engagée par les gestionnaires, ce sont les questions de la transformation des usages des foyers et résidences sociales, les projets sociaux qui sont bâtis pour y faire face et leur inscription dans les politiques urbaines qui sont posés.
2. La transformation des usages des foyers et des résidences sociales
Au-delà de la mutation et de la multiplicité des publics accueillis aujourd'hui dans les
foyers de travailleurs migrants ou dans les résidences sociales, et des problématiques qui leur sont
liées, on assiste à la transformation de l'usage même des foyers ou résidences sociales pour leurs
occupants. Au fond, un foyer, une résidence sociale, cela sert à quoi ? De ce point de vue, on peut
distinguer schématiquement trois types d'usage de ceux-ci :
![]() le foyer est, dans sa conception d'origine, un lieu d'accueil composé de chambres ou de logements, meublés, chauffés, avec eau, électricité et services semi-collectifs (blanchissage, caféteries etc.) . Si ce type d'hébergement était au départ réservé à des populations particulières, les " travailleurs immigrés ", cet usage aujourd'hui se diversifie à des publics certes modestes mais forts différents. Le foyer offre une capacité d'hébergement immédiate pour accueillir des personnes dans le va-et-vient entre le pays d'origine et la France, des personnes seules, ou des ménages qui doivent rapidement trouver un hébergement temporaire pour des raisons d'étude, de travail, familiales ou autres. Les deux caractéristiques de ce type d'usage sont d'offrir une disponibilité immédiate et de se faire par accès libre, sans prescription sociale. ![]() pour des raisons diverses, certains résidents souhaitent vivre de manière durable dans les foyers. La forme semi-collective du foyer, les habitudes de vie dans ce type d'hébergement, les liens de sociabilité qui peuvent s'y tisser entre des personnes vivant des destins souvent solitaires, les services qui sont rendus, sont autant de raisons qui font des foyers ou des résidences sociales des lieux de vie pour des résidents permanents. Les travailleurs immigrés âgés sont concernés au premier chef, mais ils ne sont pas les seuls pour lesquels le foyer est le lieu de vie de " sans foyers ". ![]() le foyer ou la résidence sociale sont dans ce cas le moyen de trouver un toit, un hébergement, dans un contexte de tension sur le marché locatif privé ou social pour des publics de faibles ressources. Ce type d'usage est celui qui est explicitement visé dans les textes qui ont créé les résidences sociales. Il se fait sur prescription sociale et doit rester transitoire. Le risque, en effet, est que les personnes restent " cloîtrées " dans les foyers ou résidences sociales sans capacité d'en sortir. On voit bien comment les limites de chaque usage, ici trop rapidement esquissés, peuvent être poreuses et comment les personnes peuvent passer de l'un à l'autre. Il y aurait cependant intérêt à reconnaître ceux-ci à l'occasion de processus de réhabilitation et de transformation des foyers en résidence sociale. L'approche par public est en effet insuffisante si on ne la croise pas avec celles des différentes fonctions que remplissent les établissements. Les services et projets sociaux en seraient éclairés. Ceux-ci ne sont pas de même nature selon les types d'usage des foyers et résidences sociales : ![]() ![]() ![]()
3. Un plan quinquennal de réhabilitation des foyers.
L'Etat a mis en place en 1998 un plan ambitieux, sur cinq ans, de réhabilitation des foyers de
travailleurs migrants. Ce plan quinquennal fait l'objet de financements à l'investissement important.
Sa mise en œuvre se révèle plus longue et difficile que prévue. En effet, la réhabilitation des
foyers nécessite un engagement des propriétaires qui sont souvent (hors parc SONACOTRA et associations
gestionnaires propriétaires de leur parc) des bailleurs publics. Quelles sont les difficultés et
obstacles rencontrés dans la mise en oeuvre de ce plan quinquennal ? L'objet du présent article
n'est pas d'y répondre de manière exhaustive mais de pointer les enjeux apparus dans les processus
de réhabilitation :
![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Comment les foyers sont ils pris en compte en matière d'accès aux services de proximité (transports urbains, commerces, services sociaux) ? Comment les résidents peuvent-ils avoir accès au logement social ? Voilà beaucoup de questions qui doivent être posées entre tous les partenaires concernés. Les foyers ont en effet longtemps été des lieux à part pour des gens à part. Ils faisaient l'objet de financements souvent exclusifs de la part de l'Etat, par l'intermédiaire du FAS notamment. C'est donc bien aujourd'hui leur inscription dans la ville et les politiques locales qu'il faut poser avec détermination à l'occasion de leur réhabilitation et de leur transformation en résidences sociales. Cette inscription dans les politiques locales doit être l'occasion d'aborder certaines problématiques des publics accueillis souvent mal aperçues par les décideurs locaux.
Des foyers aux résidences sociales :
nouveaux projets ?
1. L'adaptation des foyers au vieillissement des travailleurs migrants et ses limites
Les foyers doivent s'adapter au vieillissement des résidents vieillissants. Nous ne ferons ici que pointer à nouveau un certain nombre de questions révélatrices des mutations qui sont engagées : ![]() ![]() ![]() L'expérience montre que cet accès aux services gérontologiques est difficile et nécessite une adaptation et la mise en œuvre de nouveaux modes d'intervention de la part des gestionnaires et des services aux personnes âgées : lieux de diagnostic et d'évaluation partagés, temps de formation communs, réseau de coordination et de concertation, information des usagers, concertation avec les associations de migrants. ![]() ![]()
2. Améliorer l'accueil des demandeurs d'asile
De nombreuses associations gestionnaires de foyers ont accueilli des réfugiés Kosovars à l'occasion
des événements qui ont touché ce pays. Mais les foyers accueillent également de nombreux demandeurs
d'asile en dehors de ce dispositif exceptionnel, que cela soit dans le cadre des Centres d'Accueil
des Demandeurs d'Asile (CADA) ou en dehors de ce dispositif. En effet, la saturation actuelle du
dispositif national d'accueil des demandeurs d'asile et son inadaptation font que les foyers sont
souvent le seul refuge pour beaucoup de personnes recherchant un toit. De nombreuses associations
sont confrontées à cet accueil des demandeurs d'asile soit parce qu'elles estiment que cela fait
partie de leur mission d'accueil des primo-arrivants, soit pour des raisons de fait.
Les conditions de cet accueil ne sont cependant pas bonnes : les personnes munies d'autorisation de séjour de moins de trois mois n'ont pas droit aux aides au logement, les personnes en demande d'asile territorial n'ont pas droit aux allocations d'insertion versées aux demandeurs d'asile conventionnel. Par ailleurs, la question de la domiciliation et de l'accompagnement de ces demandeurs d'asile est posée.
3. Nouveaux publics accueillis : nouvelles missions, nouveaux dispositifs ?
De nombreuses associations gestionnaires de foyers reçoivent et hébergent des publics
en situation de précarité dans des foyers qui n'ont pas tous pour autant le label
" résidences sociales ". Ce public, pour n'être pas nouveau, présente cependant des
critères particuliers d'isolement, de difficulté financière, de fragilité psychologique etc.
Une difficulté supplémentaire repose sur le fait que les foyers de travailleurs migrants ont été les " points aveugles " des politiques publiques lors de la mise en place des Plans Départementaux pour le Logement des Publics Défavorisés. Des résidences sociales " ex nihilo " souvent de petites dimensions ont été créées pour servir d'hébergement d'urgence ou transitoire. Celles-ci mobilisent beaucoup d'énergies afin notamment de garder leur vocation transitoire et de permettre aux personnes l'accès à un logement de droit commun. Quand les grands paquebots que sont les foyers de travailleurs migrants déboulent à leur tour dans le paysage et qu'à cette occasion l'ensemble des partenaires constatent qu'ils accueillent en partie le même type de public que les résidences sociales " ex nihilo ", alors les questions du transitoire, de l'accompagnement social et de l'accès à un logement de droit commun se trouvent affectées d'un coefficient de un à dix. A l'occasion du passage des foyers en résidences sociales il nous semble donc nécessaire de bien redéfinir : ![]() ![]() ![]() ![]()
4. Les foyers d'Africains et les activités informelles
La situation des foyers d'Africains se trouve posée dans un cadre fortement contraint :
celui de la région parisienne où la question immobilière rend problématique toute opération de
relogement et de desserrement des foyers. La pierre d'achoppement des discussions est celle des
activités informelles dans les foyers. Ces activités, qui produisent des biens et services de
natures diverses, se sont développées bien souvent en dehors du champ réglementaire de l'activité
économique. Entre la reconnaissance des fonctions jouées par ces activités et leur réglementation,
un équilibre doit être trouvé.
Dans cette recherche de solutions, les associations gestionnaires doivent sortir du face à face entre résidents et gestionnaires. Des solutions globales et pratiques doivent être dégagées avec l'Etat qui définit le cadre réglementaire et la participation des acteurs locaux. Un travail a été engagé en ce sens dans le cadre du programme "Intégra" qui s'est déroulé en Seine-Saint-Denis. Celui-ci a permis de dégager des règles du jeu et ce travail doit être poursuivi en 2001 par la réalisation d'opérations pilotes sur un certain nombre de sites.
Des gestionnaires
à la croisée des chemins
Pour faire face aux défis qui sont nombreux, et aux mutations nécessaires,
les associations gestionnaires elles-mêmes doivent ressaisir leur projet associatif,
mobiliser leurs salariés et administrateurs afin que les décisions et les organisations
nécessaires soient mises en œuvre. Cette dynamisation des associations passe également par
la redéfinition des métiers et la mise en œuvre d'une politique de formation adaptée.
Autant de chantiers que l'Union Nationale des Associations gestionnaires de Foyers et
Résidences sociales (UNAFO) s'est engagée à accompagner. L'UNAFO regroupe une quarantaine
de gestionnaires de foyers auxquels sont associés d'autres gestionnaires dont la SONACOTRA.
Or beaucoup d'associations sont engagées dans des démarches de réhabilitation ou d'ajustement
de leurs projets sociaux qui leur font ressentir de manière aiguë l'importance des débats
évoqués ici.
La réalité des associations est très différente selon les sites. Certaines peuvent héberger quelques dizaines de personnes quand d'autres en hébergent plusieurs milliers. Les associations seules ne peuvent donc répondre à toutes les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de leurs projets. Certaines conditions de réalisation de ceux-ci dépendent de la capacité de leur union professionnelle de se doter de moyens d'expertise, d'animation et d'interpellation. L'UNAFO a donc élaboré un projet adopté par le Conseil d'Administration du 19 Octobre 2000 qui propose une ambition, une organisation et des moyens renouvelés. Ce projet se propose notamment d'accompagner les associations gestionnaires afin que celles-ci soient à même de : ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Pour cela l'UNAFO s'est dotée d'un nouveau mode d'organisation et de travail pour : ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Les mutations à l'œuvre sont donc multiples et complexes. Elles en sont d'autant plus passionnantes. L'ensemble du réseau des gestionnaires de foyers s'est donc retroussé les manches. La dimension associative de la plupart de ces gestionnaires doit permettre une mobilisation citoyenne qui aille au-delà des seuls professionnels afin de faire partager notre souci des publics accueillis, afin de faire comprendre les enjeux auxquels nous faisons face, afin de faire en sorte que nos efforts trouvent leurs aboutissements.
Gilles DESRUMAUX Délégué général de l'UNAFO
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~ Ecarts d'identité N° 94: Du foyer de travailleur migrant à la résidence sociale : Quelles mutations ? ~ Hiver 2000/2001 ~
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