Son destin est le retour au pays à l'issue
du cycle de travail. En ce sens la figure de l'immigré à la retraite, installé
durablement ici, semble inconcevable. En réalité, Abdelmalek Sayad l'a bien analysé ,
un véritable "paradoxe de l'immigration" est à l'œuvre.
Loin de ne considérer l'immigré que comme une force de travail,
le processus migratoire transforme l'ensemble de son existence.
De provisoire, l'immigration se modifie progressivement en un processus
d'installation durable. D'immigration de travail, les migrations deviennent
des immigrations de peuplement (2).
Si le fait social du vieillissement de l'immigration est ancien, ce qui fait que celui-ci apparaît aux yeux et à la conscience des acteurs comme un phénomène nouveau, c'est à notre sens trois dimensions actuelles de ce vieillissement. Tout d'abord l'émergence d'une population vieillissante originaire du Maghreb : le visage des immigrés vieillissants est celui des phénomènes migratoires d'il y a 40 ans. Dans le même temps, nous assistons à la fragilisation de la condition immigrée en temps de crise économique et sociale : le passage à la retraite s'avère difficile pour des personnes qui cumulent bien souvent les handicaps. Enfin, l'immigration vieillissante présente une caractéristique particulière qui est d'être fortement masculinisée et d'avoir été "accueillie" et logée en particulier dans les foyers de travailleurs migrants.
Une population vieillissante
originaire du Maghreb
Les statistiques ne permettent que très imparfaitement d'appréhender
la réalité de ce vieillissement de l'immigration. Le dernier recensement date de
1990 et il ne rend compte que des étrangers alors que les réalités de l'immigration
concernent également des personnes qui étaient à l'origine ou qui sont devenues
françaises. Pour donner un ordre de grandeur, le recensement de 1990 fait apparaître
que 280 184 étrangers ont 65 ans et plus sur un total de 3 596 602 étrangers. Les
étrangers originaires de la CEE représentent 64% de l'ensemble des étrangers de
plus de 65 ans soit 179 099 personnes. Les maghrébins de plus de 65 ans ne représentent
avec 37 556 personnes que 13% des étrangers de plus de 65 ans.
Si l'on considère la tranche des 55 ans / 64 ans du recensement de 1990 qui aujourd'hui approche ce seuil des 65 ans, les réalités se présentent de manière différente : sur 302 671 étrangers de cette tranche d'âge, 161 999 sont originaires de la CEE (54%) et 105 928 sont originaires du Maghreb (35% ). Dans les nouvelles classes d'âge qui arrivent donc aujourd'hui à l'âge de la retraite, toutes choses étant égales par ailleurs, le nombre des étrangers originaires de la CEE tend donc à stagner, voire à diminuer, tandis que celui des étrangers originaires du Maghreb est pratiquement multiplié par trois. Avec toute l'imperfection de l'appareillage statistique, nous voyons bien là émerger une réalité que nous constatons sur le terrain associatif. Et cette réalité obéit à une certaine logique puisque le visage de l'immigration vieillissante est aujourd'hui celui des réalités migratoires d'il y a environ quarante ans. Or ce visage est principalement celui d'une immigration venue du Maghreb et notamment d'Algérie. Cette immigration a la particularité d'être une immigration fortement liée au passé colonial de la France et d'avoir connu un mode de gestion particulier de la part de l'Etat. Elle est fortement masculinisée puisque sur les 38 000 étrangers de plus de 65 ans issus du Maghreb, les hommes représentent 26 000 personnes (68%). Ce taux de masculinisation passe même à 78% pour la tranche des maghrébins de 55 à 64 ans (à titre de comparaison, pour la population italienne de plus de 65 ans, le taux de masculinité est de 47%). Plus des deux tiers des populations maghrébines vieillissantes sont donc des personnes dont on peut supposer qu'elles vivent en "célibataire" en France. Cet isolement est d'autant plus problématique que la prise en charge du vieillissement et de ses handicaps se fait principalement en France sur un mode familial auquel ne participe pas cette immigration vieillissante issue du Maghreb.
Un passage à la retraite difficile
Difficile d'imaginer la retraite : Le travail étant ce qui a structuré leur
projet migratoire et leur vie en France, les personnes ont du mal à s'identifier à la
catégorie d'inactif et de retraité. Ayant perdu un repère identitaire important, elles
n'imaginent pas une suite différente de ce qu'elles ont vécue. La constatation est souvent
commune pour l'ensemble de la population vieillissante. Elle est renforcée pour les
populations issues de l'immigration au travers d'une indécision fondamentale à laquelle
tout projet de vie est suspendu : rester ou retourner au pays.
Le caractère central des ressources pour les isolés - Il faut tout d'abord noter le caractère central de la question des ressources pour la population immigrée isolée dont une partie de la famille continue de résider au pays. Il est nécessaire non seulement de pouvoir se nourrir, se loger ici, mais aussi d'envoyer de l'argent au pays pour faire vivre la famille qui y réside. Plus symboliquement, on peut considérer l'argent envoyé au pays comme une forme de " rançon " de l'exil. C'est d'une certaine manière la raison de l'immigration et sa justification. Cette question trouve son acuité au moment du passage à la retraite. Une population illettrée face à la complexité administrative - La grande majorité de cette population est illettrée et elle rencontre de ce fait des difficultés administratives. Elle nécessite un suivi régulier pour savoir les droits auxquels elle peut prétendre et pour l'aider à remplir les différentes formalités administratives auxquels sont assujettis ces droits (constitution du dossier de retraite, retour d'imprimés pour la CRAM, les impôts, la CAF, dossier d'aide médicale, etc..). L'absence de retour des imprimés dans les délais impartis entraîne la suppression des droits correspondants. Un nombre important de démarches est alors nécessaire pour rétablir le versement des prestations. La difficile constitution du dossier de retraite - La constitution du dossier de retraite se heurte à des difficultés importantes : . la question de l'état civil des personnes : les variations de retranscription des noms, les changements de patronymes compliquent singulièrement la constitution des dossiers, . la reconstitution de carrières souvent très morcelées sur l'ensemble du territoire : c'est à la personne de rechercher les employeurs manquants et d'obtenir les justificatifs nécessaires. La validation des périodes d'indemnisation par l'ASSEDIC des périodes de chômage se heurte au problème de la difficile conservation des papiers par les intéressés, . la validation des périodes de travail en Algérie avant l'indépendance : elle est difficile, voire impossible, en raison de la difficulté d'obtenir les justificatifs nécessaires, . la validation des périodes de service militaire se heurte aux mêmes difficultés. Des retraites souvent très faibles - Avant l'âge de la retraite, la paupérisation des isolés est liée aux phénomènes de précarisation d'une main d'oeuvre vieillissante et usée, touchée de plein fouet par le chômage, le travail intermittent, les pensions d'invalidité. Sur ce point, nous voulons attirer l'attention sur la non-reconnaissance de la qualité de travailleur en tant qu'assuré social pour les étrangers en invalidité ou au chômage. Ceci a pour conséquence pour les personnes concernées : de ne plus percevoir les allocations familiales pour les enfants mineurs à charge demeurés dans leur pays d'origine, de ne plus percevoir de remboursement des soins pour la famille demeurée au pays. Les retraites sont souvent très faibles en raison : - des salaires de base très faibles pour le calcul des retraites, - les difficultés de justifier des trimestres nécessaires pour percevoir une retraite à taux plein (en raison du travail non déclaré, de la difficile reconstitution de carrière - la mauvaise couverture en terme de retraite complémentaire. A cette occasion, signalons la question des retraites militaires pour les ressortissants du Maghreb ou d'Afrique sub-saharienne qui demeurent cristallisées depuis leur liquidation contrairement à celles des nationaux qui ont été revalorisées. Que cela soit du fait de la précarisation ou de la retraite, nous constatons le poids important de personnes isolées qui se situent dans une tranche de revenus de 1500 à 3000 F., c'est à dire au-dessous du minimum vieillesse (3470,91 F/mois pour une personne seule au 15 Avril 1998). Un accès problématique au minimum vieillesse - C'est notamment pour permettre à ces personnes d'atteindre le seuil du minimum vieillesse que le GRAVE avec le soutien du service juridique de l'ODTI a engagé dans les années 85 une action juridique ayant abouti en 1991 à l'arrêt "MAZARI" de la cour de cassation qui attribue à un ressortissant algérien, que nous avions soutenu, le bénéfice du FNS. Depuis cette date, malgré l'obstination des caisses, nous avons obtenu des centaines de jugements favorables accordant le bénéfice de l'allocation supplémentaire ou de l'Allocation Adulte Handicapée à des ressortissants non communautaires. Une action élargie à l'ensemble du territoire a été menée avec le concours du CATRED, du GISTI et de la FNATH (3). La loi "RESEDA"du 11 Mai 1998 consacre cette action juridique menée par les associations en ouvrant le bénéfice de l'allocation supplémentaire (article L 816-1 du code de la sécurité sociale) et de l'allocation adulte handicapée (article L 821-9 du code de la sécurité publique) "aux personnes de nationalité étrangère titulaires d'un des titres de séjour ou documents justifiant la régularité de leur séjour en France". Au moment où l'on assiste au basculement d'une protection sociale "assurancielle" (financée par les revenus du travail) à une protection sociale fondée sur "la solidarité nationale" (financée par l'impôt), cette égalité des droits en matière de prestations non contributives est fondamentale. Mais l'application de ces mesures reste à faire pour l'ensemble des personnes concernées. Nous nous heurtons dans cette application à la production des certificats de vie et de résidence du conjoint resté au pays, documents qui sont longs et difficile à obtenir, voire contestés par les caisses quand ils sont produits. La question de la résidence principale et de la domiciliation pour les populations dans le va et vient - Pour l'application de l'allocation supplémentaire, nous rencontrons la question de la "résidence habituelle" des personnes. En effet beaucoup de ces personnes sont dans le va et vient entre le pays d'origine et la France. Les prestations qui permettent d'accéder au minimum vieillesse ne sont pas "exportables". Le délai de résidence en France demandé par les caisses (au minimum de six à huit mois), et strictement contrôlé, fait que beaucoup de personnes renoncent à bénéficier de ces prestations ou se voient supprimer le bénéfice de celles-ci. Ces personnes restent donc en dessous du minimum vieillesse pendant leur séjour en France. En plus de cette question de résidence, la domiciliation même des personnes en France, pour percevoir l'allocation supplémentaire ou l'AAH dans ce pays, est soumise de plus en plus par les caisses à des contrôles : nécessité de produire un bail de location, des quittances d'électricité ou de gaz. Les personnes dans le va et vient et dont le statut de locataire ou de résident est aléatoire ont du mal à produire les justificatifs demandés. Ces prestations peuvent être ainsi suspendues pour des périodes importantes. Une forme précoce de vieillissement - Cette population immigrée a été confrontée, durant sa vie active, à des conditions de travail difficiles auxquelles se sont souvent ajoutées des conditions précaires de logement (meublé, cabane de chantier, habitat précaire ou insalubre). Pour des populations dont le corps est le principal outil nous observons, pour une partie d'entre elles, des phénomènes d'usure précoce. Ces personnes "aux reins cassés" ont souvent connu dans leur existence une rupture causée, à un moment donné, par l'apparition puis le développement d'une maladie grave, souvent en rapport avec un accident de travail. Nous constatons dans ces cas que l'accident de travail n'est pas seulement un incident plus ou moins grave, mais crée une rupture, un traumatisme dans la vie du travailleur isolé. "L'accident apparaît alors rétrospectivement comme la première étape d'un processus de marginalisation et d'exclusion de la vie active.. Dés lors, leur vie est régulée par la maladie et la dépendance par rapport aux soins. Souvent en situation de contentieux pour faire reconnaître une invalidité partielle ou totale, ils vivent des situations précaires. L'accident ou la maladie bloque alors tout projet résidentiel. Le retour est interdit car les structures médicales de prise en charge n'existent pas toujours. Le foyer devient le seul refuge possible (4)".
Le vieillissement dans les foyers :
une situation sociale nouvelle
Des lieux à part pour des gens à part - A une immigration perçue comme provisoire
a donc correspondu à partir des années 50, des logements provisoires sous la forme de foyers
construits pour se substituer aux hôtels meublés souvent insalubres et aux bidonvilles.
Les foyers offraient l'avantage de fournir des conditions de logements certes sommaires mais
qui correspondaient aux normes de confort et d'hygiène modernes adaptées aux travailleurs
qu'ils recevaient. De plus, ils présentaient l'intérêt, en regroupant des populations
nord-africaine dans un contexte colonial, de pouvoir exercer sur elles un contrôle social
certain. Leur localisation, leur peuplement, leur statut juridique particulier, tout
contribuait à faire des foyers des lieux à part pour des gens à part. Au moment où,
aujourd'hui, on parle tant d'intégration, il est nécessaire de rappeler combien
la politique de l'habitat (5) initié par l'Etat dans ces années là a contribué à
fabriquer du spécifique qui a créé de la distance et des écarts d'identité dont on
a trop souvent tendance aujourd'hui à imputer la responsabilité aux intéressés.
Du foyer à la résidence sociale - A côté de cette population "traditionnelle", les foyers accueillent aujourd'hui une population nouvelle qui n'est pas spécifiquement immigrée et qui est constituée de personnes en situation de précarité qui trouvent dans les foyers un logement transitoire à faible coût. Progressivement les foyers se transforment ainsi en "résidences sociales" de fait ou agréées par les pouvoirs publics. Nous assistons ainsi au sein des mêmes établissements à deux cycles différents. L'un qui se termine, celui des foyers pour travailleurs migrants, et un autre cycle, qui naît et tend à prendre de l'importance, celui des résidences sociales pour personnes en situation d'exclusion. La coexistence de ces deux populations n'est d'ailleurs pas sans difficultés (6). Peut-on parler de "mixité sociale" dans ce cas ? La coexistence de ces deux cycles dans les mêmes foyers pourrait d'ailleurs être l'objet d'une méditation sur la place faite aux immigrés et aux "précaires" dans notre société...
Comment faire face au défi
du vieillissement des isolés ?
Comment faire face au défi que constitue le vieillissement dans
les foyers d'une immigration d'isolés vieillissants d'origine maghrébine ?
Nous l'avons dit, le vieillissement de l'immigration n'est pas nouveau et
dans l'immigration maghrébine même, le phénomène de vieillissement concerne
des familles et des isolés. Parmi ces isolés vieillissants, beaucoup habitent
encore un habitat insalubre. Mais, dans les foyers, le vieillissement se passe,
si l'on peut dire, sous le regard des gestionnaires et des pouvoirs publics.
Ceux-ci ont donc des responsabilités devant un phénomène qu'ils ont construit
pour une bonne part. Certes la question peut être évacuée comme le fait le
rapport "Cuq" qui évalue le nombre de personnes "dépendantes" dans les foyers
de travailleurs migrants de 529 à 822 personnes à l'horizon 2000 et de 1434 à
2041 personnes en l'an 2010. L'auteur du rapport rapproche ce nombre "dérisoire"
de la capacité d'accueil des maisons de retraite qui est de l'ordre de 500 000 lits.
Il conclut donc que "la sortie des foyers actuels pour les résidents devenus dépendants
n'est pas d'actualité" (7). Une telle approche "statistique" ne s'intéresse qu'à la notion
de "dépendance" en calculant son taux par rapport à "l'ensemble de la population vivant
à domicile". Peut-on calculer un taux de dépendance pour une population d'immigrés isolés
usés par une place particulière dans le processus de travail en référence avec l'ensemble
de la population ? Peut-on ne retenir des processus de vieillissement que la notion de
dépendance sans s'interroger sur l'adaptation des foyers pour l'accueil des populations
vieillissantes ? Peut-on prétendre comprendre des personnes sans tenir compte de leurs
caractéristiques particulières ?
Une population de plus en plus isolée - Le foyer de par ses caractéristiques propres, n'a jamais été, pour les maghrébins en particulier un lieu de sociabilité et d'organisation communautaire identique à d'autres formes d'habitat tels que les bidonvilles et l'habitat insalubre. "Le logement en foyer isole les résidents les uns des autres, à l'intérieur même du foyer, et les isole des autres immigrés, plus qu'il ne contribue à les rapprocher et à les unir". (8) Cette caractéristique des foyers est renforcée dans le processus de vieillissement. D'une part il semble que dans la trajectoire résidentielle des immigrés le maintien du statut d'isolé en France et le logement en foyer ne soient pas indifférents d'une forme d'indécision personnelle du parcours migratoire. Celui-ci se traduit par des incessants " va et vient " entre le pays d'origine et la France. D'autre part, les quelques formes d'entraide et d'assistance voire l'échange de services qui peuvent exister dans les foyers trouvent vite leur limite dans le cas de personnes en perte d'autonomie. Le foyer n'est pas un lieu qui fournit spontanément des modes de réponse adaptés à la prise en charge du vieillissement de personnes isolées (aide à la préparation des repas, aux courses, au ménage, être présent lorsqu'une personne est malade, etc.). Une population qui n'accède que très rarement aux structures de droit commun pour les personnes âgées - Les assistants sociaux des personnes âgées des CCAS constatent que ces personnes accèdent difficilement aux structures d'hébergement collectif pour personnes âgées : foyer logement, maison de retraite, centre de long séjour, MAPA, Domicile collectif. Toutes ces structures sont de fait réservées à ceux qui ont un revenu qui en permet l'accès. De 2700F/ mois à 10 000F/ mois, tel est le coût, fonction de la prise en charge graduée de la dépendance. L'aide sociale départementale aux personnes âgées existe, mais soumise à enquête auprès des débiteurs d'aliments. Elle est généralement refusée si les débiteurs d'aliments ne répondent pas à l'enquête ou se trouvent à l'étranger. Dans les cas où elle est accordée, c'est au bout de délais très longs et les places, réservées un moment, ont été attribuées à d'autres. On peut imaginer les difficultés d'ordre pratique que la mise en oeuvre de l'aide sociale pose. Les gestionnaires des structures pour personnes âgées constatent également qu'il ne leur est pas possible d'accueillir ce public. En effet, les structures qu'ils gèrent accueillent généralement des publics féminins et des personnes dont l'âge, les revenus, les modes de vie et de vieillissement nécessitent des réponses différentes de celles des personnes étrangères vieillissantes. Pour pouvoir faire coexister ces publics, il faudrait élaborer des projets spécifiques que leurs structures ne sont pas à même de réaliser.
Un habitat non adapté aux besoins
de cette population
Cette population immigrée vieillissante est souvent logée au mieux
en foyer ou en multilocation mais aussi souvent dans des logements précaires ou
insalubres. Ces modes de logement ne sont pas adaptés aux besoins nouveaux des
personnes vieillissantes en perte d'autonomie : pas d'accessibilitépour les handicapés,
difficultés de fournir les services rendus nécessaires (portage des repas, ménage,
soins infirmiers). Avec l'aggravation des handicaps, on assiste souvent à la dissolution
des liens de solidarité de voisinage. Ceux-ci entraînent souvent des formes de repli des
personnes sur elles-mêmes. C'est alors l'hospitalisation en urgence qui est l'ultime
recours à une situation qui s'est dégradée à l'insu de chacun.
La mise en place de lieux de vie
pour les personnes isolées et vieillissantes
Entre l'accès, sinon impossible, en tout cas difficile dans les structures
de personnes âgées et le vieillissement "sur pied" dans les foyers, il nous semble
important de mettre en place des structures adaptées à l'accueil de ces populations.
La mise en place de telles structures doit faire l'objet d'une concertation avec
les résidents concernés des foyers. Ces structures peuvent être situées dans
certains foyers au cours de leur réhabilitation, ou mieux, dans de petits
ensembles bien situés sur un territoire communal. (9)
L'objectif de ces structures, qui se rapprochent de formes de maintien à domicile mis en place par ailleurs, est d'offrir un mode d'habitat, à taille humaine, intégré dans un quartier et au milieu de populations d'origines sociales diverses, adapté pour pouvoir accueillir durablement des personnes pouvant présenter des handicaps physiques. Ces structures doivent offrir des coûts de redevance peu élevés afin d'être accessibles à des personnes de faibles revenus. Cela doit être un élément d'appréciation primordial dans la mise en place de telles structures. Ces structures adaptées doivent permettre de lutter contre l'isolement de ces personnes en restaurant un mode de vie semi-communautaire où les activités quotidiennes (ménage, repas, échanges informels) sont le support du maintien d'une vie sociale et conviviale.(10) Enfin, et c'est un point essentiel, il est nécessaire de prévoir et d'assurer la coordination de l'intervention de services particuliers (soins infirmiers, ménage, préparation de repas). Il ne s'agit pas de recréer une nouvelle fois des structures à part pour des personnes à part mais de mettre en place un réseau coordonné d'intervention des services de droit commun dans un habitat adapté aux besoins des personnes immigrées vieillissantes. Un grand chantier est donc à engager pour adapter notre réglementation et les pratiques administratives à la question du vieillissement des publics issus de l'immigration et notamment du Maghreb. Un chantier de même ampleur est à ouvrir dans le domaine du logement. Des expériences en ce sens sont menées à Grenoble mais aussi à Toulouse, à Nice... Ce sont des chantiers qui demandent une volonté politique clairement affirmée. Les pouvoirs publics, à l'instigation de la Commission Interministérielle pour le Logement des Populations Immigrées (CILPI) nouvellement créée, doivent en être le maître d'ouvrage. Les caisses de retraite et de sécurité sociale, les gestionnaires de foyers, les responsables des services pour personnes âgées et toutes les associations doivent en être les maîtres d'œuvre actifs et innovants. A l'occasion de ses quarante ans, le Fonds d'Action Sociale organise sur le thème de l'immigration et du vieillissement des ateliers régionaux et une rencontre nationale. Ces manifestations s'inscrivent dans toute une série d'événements dont un des plus marquants aura été sans doute le film et le livre de Yamina Benguigui "mémoires d'immigrés, l'héritage des maghrébins"(11). Dans une période où la légitimité même des immigrations semble en jeu, il est nécessaire de prêter attention à tous ceux qui vieillissent en silence dans les foyers et ailleurs. Ils n'ont pas seulement construit ou reconstruit la France, ils sont la France dans toute sa diversité et sa richesse. Il y a là un devoir de mémoire essentiel.
Gilles Desrumaux * Directeur de l'Office Dauphinois des Travailleurs Immigrés (ODTI), membre du Groupe de Recherche et d'Action sur le Vieillissement des Etrangers (GRAVE), Grenoble
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~ Ecarts d'identité N° 87:"Le troisième age de l'immigration" ~ Décembre 1998 ~
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