La course des jeunes migrants
contre les effets de seuil scolaires et législatifs


Claire SCHIFF *

Ni immigrée, ni native de France, la génération ENA, dite outre-atlantique «génération 1.5», arrive mieux à s’en sortir à l’école que les enfants de la deuxième génération, pour peu qu’ils arrivent en France avant l’entrée au collège. La cause de la déscolarisation de ces enfants est à imputer moins à leurs motivations qui est très grande qu’aux conditions matérielles précaires de leurs parents. Les nouvelles restrictions en matière de regroupement familial risquent d’aggraver encore plus ce handicap.


(*) Maître de conférence en sociologie, Université de Bordeaux 2.
Chercheur au Laboratoire d’Analyse des Problèmes Sociaux et de l’Action Collective.
Membre du CADIS.
Les enfants et les adolescents migrants constituent la part la plus méconnue de la population d’ori- gine étrangère. Immigrés sans pour autant être des travailleurs, enfants d’immigrés sans pour autant appartenir à la deuxième génération née en France, cette catégorie, appelée « génération 1.5 » selon la nomenclature en vigueur outre-atlantique, est particulièrement difficile à cerner. Ce texte vise à répondre à trois questions distinctes mais imbriquées à propos de cette population et des conditions de son intégration en France. Quelles sont les caractéristiques principales de la migration juvénile, notamment en termes d’évolution et de taille des flux ? Quelles sont les incidences sur les parcours scolaires des jeunes migrants de l’arrivée en France à des âges plus ou moins avancés ? Et enfin, quelles sont les conséquences prévisibles pour ces jeunes des modifications apportées ces dernières années aux lois sur l’immigration, notamment celles qui concernent le regroupement familial ?

L’immigration juvénile  hier et aujourd’hui

Ces dernières années, les entrées de mineurs admis dans le cadre du regroupement familial représentent près de 10 % de l’ensemble des entrées d’immigrés sur le territoire, soit entre 15.000 et 20.000 par an. On observe également que ces mineurs arrivent à un âge de plus en plus tardif et que peu d’entre eux sont donc susceptibles d’accomplir toute leur scolarité en France. En effet, 43% des mineurs admis au séjour en 1980 avaient moins de six ans, alors que cela n’était le cas que de 20% de ceux qui étaient enregistrés en 2000 comme bénéficiaires du regroupement familial (1). Il faut souligner cependant que les chiffres de l’Office des Migrations Internationales ne comptabilisent qu’une partie des arrivées de mineurs sur notre territoire. Les enfants entrés en dehors du regroupement familial, les mineurs isolés, ainsi que les enfants de réfugiés et de demandeurs d’asile n’y figurent pas. De plus, une partie des mineurs entrés en France n’apparaissent dans les statistiques publiques de l’immigration qu’au moment où ils atteignent leur majorité.
Les tentatives de l’Éducation Nationale pour comptabiliser les effectifs des élèves nouvellement arrivés en France depuis 2000 apportent également quelques indications sur l’ampleur du phénomène, même si ce recensement est effectué de façon plus ou moins précise selon les Académies. Pour l’année scolaire 2004-2005, presque 40.000 élèves primo-arrivants étaient accueillis dans les écoles, collèges et lycées français (2). Du point de vue non plus des flux mais des stocks, les résultats de l’enquête Etude de l’histoire familiale de 1999 a permis d’estimer à 260.000 le nombre des mineurs immigrés vivant en France, sans qu’il soit possible de déterminer à quels âges ils ont émigré (3).
La proportion d’enfants et de jeunes migrants au sein des différentes populations d’origine étrangère est une conséquence de l’ancienneté de l’implantation du groupe, mais aussi du type de calendrier migratoire qui y prévaut. Les enfants nés en France sont naturellement plus nombreux parmi les nationalités pour lesquelles la norme est l’émigration des hommes célibataires qui font ensuite venir leurs jeunes épouses afin de fonder une famille dans le pays d’accueil. Cela est le cas en particulier des immigrés italiens et tunisiens qui sont plus de 70 % à venir célibataires, contre 53 % pour les Marocains, 45 % pour les Turcs et 32 % pour les Portugais (4). Chez ces derniers, les enfants sont traditionnellement nombreux à venir dans le cadre du regroupement familial.
La proportion d’individus ayant passé près de la moitié de leur vie dans leur pays d’origine est encore importante dans les courants récents d’Afrique Noire et d’Asie, alors qu’elle est plus réduite chez ceux dont l’installation et plus ancienne, tels les Portugais et les Maghrébins, en particulier algériens (5). Au début des années quatre-vingt-dix la part de jeunes nés en France était encore restreinte dans les groupes d’immigration récente comme les originaires d’Afrique Noire, et surtout parmi les Turcs. À l’inverse, les jeunes natifs français étaient très majoritaires dans certains groupes, tels les Algériens et les originaires des DOM-TOM. Chez ces derniers, 82 % des jeunes âgés de moins de 25 ans en 1990 étaient natifs de la métropole, contre 72 % de la même tranche d’âge en 1982 (6). Les données du dernier recensement montrent qu’un enfant sur cinq vivant dans un foyer immigré a lui-même migré, avec quelques écarts en fonction de la nationalité. Cela concerne 19% des mineurs originaires d’Afrique francophone, 22 % des Turcs et 23 % des originaires de l’Asie du Sud-Est. La part des enfants ayant eux-mêmes émigré a par contre sensiblement diminué chez ceux d’origine portugaise (8%) et dans une moindre mesure chez les Algériens (14%) (7).
L’arrivée en cours de scolarité explique en partie la proportion importante de jeunes qui optent pour les filières courtes de l’enseignement professionnel au sein de certaines populations, notamment d’origine portugaise. En ignorant ce facteur on risque d’ailleurs d’interpréter ces tendances comme la conséquence d’un modèle culturel supposé être défavorable à la poursuite des études. Au début des années quatre-vingt-dix, les jeunes âgés de 20 à 29 ans issus de l’immigration portugaise étaient moins de 50% à être nés en France(8), alors qu’aujourd’hui la génération des originaires du Portugal qui arrive à l’âge adulte est composée en majorité des natifs français. Cette évolution explique en partie le fait que les jeunes de cette origine s’alignent désormais sur leurs homologues d’origine française en termes de choix d’orientation et de taux d’accès aux études supérieures (9).
La part d’enfants et de jeunes migrants au sein de la population issue de l’immigration dans son ensemble n’est donc pas négligeable, tant aujourd’hui que par le passé. Selon les courants et l’ancienneté de leur implantation, elle concerne entre un cinquième et la moitié de la jeunesse issue de l’immigration. Pour cette raison, la question qui nous préoccupe ici de savoir quelle est l’incidence d’une arrivée en France en cours de scolarité sur le devenir des jeunes est pertinente tant du point de vue rétrospectif que dans la perspective d’une analyse des risques et des avantages associés au statut d’élève primo-arrivant.

Migrer en cours de scolarité : source de motivation et de vulnérabilité

De nombreuses recherches menées aux Etats-Unis sur les jeunes issus de l’immigration ainsi que quelques enquêtes menées en France démentent l’idée selon laquelle une arrivée au cours de la scolarité constituerait invariablement un obstacle à la réussite, même si, dans l’ensemble, le fait d’avoir passé plusieurs années scolaires à l’étranger rend les élèves plus vulnérables à la déscolarisation (10), au redoublement et à l’orientation dans les sections d’éducation spécialisée. L’enquête de Louis-André Vallet et Jean-Paul Caille portant sur les parcours scolaires des élèves étrangers ou issus de l’immigration dans l’école et le collège français montrent par exemple que le fait d’avoir passé une ou deux années scolaires hors de France (par rapport au fait de n’avoir passé aucune année scolaire à l’étranger) constitue un avantage très significatif concernant la probabilité d’avoir reçu une proposition d’orientation en seconde générale ou technologique quatre ans après l’entrée au collège. En revanche, au-delà de trois ans, les études à l’étranger constituent un léger désavantage (11).

Les rares travaux qui tiennent compte de manière systématique des effets de la migration sur la scolarité démontrent que l’entrée en France au cours de l’enfance a, dans un premier temps, une incidence plutôt négative sur le déroulement de la scolarité de ces élèves, entraînant davantage de redoublements, d’orientations en filière professionnelle et de scolarités écourtées. Cependant, au terme de leur cursus, les enfants primo-migrants ne se retrouvent pas dans une situation nettement moins enviable que celle de leurs condisciples natifs français appartenant aux mêmes catégories sociales (12). Pour peu qu’elle soit intervenue avant l’adolescence et notamment avant l’âge d’entrée au collège, l’expérience de la migration ne semble pas franchement défavorable à l’obtention d’un diplôme.
L’enquête MGIS révèle même de meilleures réussites scolaires et une mobilité professionnelle supérieure pour les jeunes d’origine algérienne ayant émigré au cours de l’enfance que chez ceux nés en France. Chez les jeunes arrivés entre 1965 et 1974 avant l’âge de six ans, la durée moyenne de leur scolarité et leur accès aux études supérieures (30%) est proche de la moyenne nationale (32%), ce qui est très honorable compte tenu de leur appartenance sociale massivement ouvrière. Plus d’un tiers des jeunes Algériens arrivés après l’âge de six ans est encore scolarisé à vingt ans, alors que les jeunes d’origine algérienne nés en France accèdent relativement peu à l’enseignement supérieur (17 % des garçons et 21 % des filles). Michèle Tribalat note à ce propos que : « Contre toute attente les jeunes nés en France dans des familles immigrées venues d’Algérie ont ainsi nettement moins bien réussi que ceux arrivés très jeunes en 1965-74 », et à se demander s’il ne faudrait pas « y voir les effets d’une motivation plus solide » (13).
La sur-motivation engendrée par la migration et le rapport globalement positif que les élèves nouvellement arrivés entretiennent vis-à-vis de l’école sont des phénomènes avérés par nombre de travaux effectués dans des contextes nationaux différents. Pour autant, les modalités d’accueil, d’évaluation et d’intégration des élèves migrants ne permettent pas toujours de tirer profit de ces comportements afin de favoriser la réussite des jeunes nouvellement arrivés dans le pays d’accueil. L’expérience de la migration exacerbe les ambitions et la socialisation dans le pays d’origine produit des jeunes dont les comportements sont plus conformes aux attentes des adultes. Si l’arrivée tardive «protège» en quelque sorte les jeunes de la démotivation scolaire, reste à savoir dans quelle mesure et à quelles conditions le fonctionnement du système vient entraver ou encourager la traduction des attentes et de l’investissement des élèves et de leurs familles en termes de réussite scolaire. Alors que la motivation et le conformisme du migrant constituent le socle d’un comportement a priori réceptif à l’égard de l’enseignement, l’institution scolaire française ne parvient à ménager qu’un espace et un temps d’adaptation restreint à ces élèves. C’est en particulier le cas de ceux en âge de fréquenter le cursus secondaire puisqu’ils doivent en principe intégrer les classes ordinaires des collèges après seulement une année passée en structure adaptée. Ces jeunes vivent ainsi une tension particulièrement forte entre un «désir d’école» et les contraintes d’un mode d’intégration qui les soumet à une sélection encore plus sévère que les autres élèves.
Parmi les facteurs qui affectent de façon importante les perspectives scolaires des jeunes on trouve en premier lieu l’âge à l’arrivée. L’âge de 12-13 ans apparaît ainsi comme un seuil critique au-delà duquel les chances de poursuivre une scolarité ordinaire se réduisent sensiblement. En effet, c’est ce qu’indique le suivi de cohorte élaboré à partir des données des Bases Élèves académiques de Bordeaux, Créteil et Paris (14). Celui-ci concerne les parcours de plus de 1700 jeunes observés entre le moment de leur première scolarisation en France en 1998 dans les classes d’accueil pour élèves non francophones en collège et leur situation six ans plus tard. Plus de 60% des élèves ont quitté le système scolaire au cours des six années d’observation. Si les raisons de sorties sont difficiles à établir précisément à partir des renseignements fournis par les Rectorats, on peut tout de même noter que le motif le plus fréquemment évoqué est celui d’une « poursuite de formation en dehors de l’éducation nationale », sans qu’il soit possible de déterminer dans quelle proportion il s’agit de départ vers l’étranger ou de poursuite d’une formation par des voies plus informelles en France. Divers organismes comme les associations, communautaires ou non, les foyers d’accueil pour demandeurs d’asile ou ceux de l’Aide Sociale à l’Enfance, les structures municipales et les Missions Générale d’Insertion sont fréquemment sollicités pour assurer l’alphabétisation ou l’enseignement du français aux jeunes migrants qui n’ont pas accès à l’Education Nationale ou qui y font un passage très bref (15).
Quel qu’en soit les raisons précises, les taux de sorties sont massifs et comportent une part importante de jeunes qui ne parviendront sans doute pas à obtenir un diplôme ou une qualification. L’âge des 16 ans représente un seuil important pour ces élèves dont les taux de sorties augmentent significativement à l’approche de la fin de la scolarité obligatoire, notamment pour ceux qui sont arrivés depuis peu en France. Ces déscolarisations précoces cachent d’ailleurs une réalité encore plus difficile à appréhender : celle des jeunes migrants qui n’accèdent jamais à l’école. Pour les élèves âgés qui arrivent sans maîtrise du Français, l’obligation scolaire fixée à 16 ans n’agit pas tant comme une obligation faite aux parents de les scolariser au moins jusqu’à cet âge, que comme une liberté laissée aux établissements de ne pas les recevoir pour peu que les dispositifs adaptées soient insuffisants et les classes d’accueil déjà saturées (16).
Près d’un élève sur cinq quitte leur établissement dès la fin de la première année de scolarisation en France d’après les résultats du suivi de cohorte. Par la suite entre 10 et 12% des élèves sortent chaque année, comme si, une fois passé le cap de la première année de scolarisation, les élèves étaient plus assurés de pouvoir poursuivre leurs études. De façon générale, les « sorties » concernent davantage les élèves arrivés en France déjà âgés. L’année suivant leur première scolarisation en classe d’accueil, plus de 70% des élèves de 17 ans ou plus ne sont déjà plus scolarisés, alors que cela ne concerne que 20% des élèves ayant 12 ans ou moins. L’écart se creuse encore davantage trois ans après leur arrivée en France : les élèves arrivés à 16 ans et plus sont moins de 10% à être encore scolarisés, pour 57% des plus jeunes.
L’offre de structures pour les grands adolescents non francophones fait défaut dans certaines Académies de province tel que Bordeaux qui ne compte aucune classe en lycée destinée aux élèves nouvellement arrivés. De fait, plus les élèves arrivent jeunes dans le système scolaire français et plus ils ont de chances d’y faire leur scolarité sans connaître d’épisode de déscolarisation. Contrairement à l’effet très discriminant de l’âge à l’arrivée, ni les origines nationales ni les origines sociales des élèves ne sont à mêmes d’expliquer les sorties du système scolaire.
Les enquêtes que nous avons menées par ailleurs sur cette population indiquent que les phénomènes de non scolarisation ou de déscolarisation des jeunes migrants relèvent avant tout des dysfonctionnements qui peuvent survenir à différents moments dans la prise en charge institutionnelle, qu’il s’agisse du premier contact avec les CASNAV, de l’évaluation du niveau avant l’affectation, de l’orientation ou de l’intégration scolaire (17). Les manquements à l’obligation scolaire de cette population ne sont pas imputables aux caractéristiques familiales ou culturelles des migrants. Ainsi, mis à part le cas très particulier des enfants du voyage, les incidences de déscolarisation n’apparaissent pas comme l’apanage de telle ou telle nationalité. Indépendamment de leurs origines nationales ou culturelles, les enfants et les adolescents primo-arrivants connaissent une expérience scolaire distincte de l’ensemble de la population issue de l’immigration, mais aussi de celle des élèves natifs français pris dans un processus de déscolarisation (18). A priori très demandeurs d’école à leur arrivée, lorsqu’ils dérogent à l’obligation scolaire cela est la conséquence, soit d’une impossibilité formelle pour eux d’accéder à un établissement suite à leur installation, soit d’une sortie précoce résultant le plus souvent d’une orientation non souhaitée comme le redoublement de la classe d’accueil, le placement en section d’éducation spécialisée ou le placement dans une filière professionnelle offrant peu de débouchés.
Ces adolescents, dont les familles vivent souvent dans des conditions matérielles précaires, ont parfois le souci de contribuer aux revenus de leurs parents. La priorité de nombre d’entre eux est d’acquérir des compétences professionnelles qui leur permettront d’exercer rapidement un métier. Beaucoup ne rechignent pas à aller dans les filières professionnelles de l’industrie ou du secteur tertiaire délaissées par les élèves français pourvu que ceux-ci offrent de réelles possibilités d’accéder à un emploi stable. De même, à partir du moment où leur statut ne les prive pas de signer des contrats d’apprentissage ou de qualification en alternance, ils rencontrent souvent moins de difficultés que les élèves issus de l’immigration nés en France à trouver des employeurs susceptibles de les accepter comme stagiaires, car se sont des jeunes généralement respectueux de l’autorité des adultes et disposés à se plier aux exigences du monde du travail. Mais lorsque les difficultés rencontrées durant les premières années de scolarisation en France leur paraissent insurmontables ou que les orientations qui leur sont proposées sont trop en décalage avec les ambitions qu’ils entretenaient à leur arrivée, ces jeunes préfèrent quitter l’école pour entrer dans la vie active ou pour se marier plutôt que de prolonger indéfiniment une situation d’incertitude.

Assiste-t-on a une dégradation des conditions d’intégration des jeunes migrants ?

Les difficultés d’intégration scolaire auxquelles sont confrontés les jeunes migrants risquent de s’aggraver dans les années à venir du fait des modifications intervenues dans la législation sur l’immigration. L’impact de ces lois dépasse largement le seul cas des enfants de migrants en situation irrégulière qui représentent la partie la plus précaire de cette immigration « subie ».
L’émotion collective et les expressions publiques d’indignation suscitées récemment par les incidences d’interpellation de migrants en situation irrégulières dont un ou plusieurs enfants sont scolarisés en France ont contribué à ce que le sort de ces familles apparaisse comme l’incarnation la plus manifeste du caractère inhumain de la politique de contrôle de l’immigration prônée par Nicolas Sarkozy. A tel point que ce dernier a été conduit à élaborer une circulaire rendant possible par les préfets un « réexamen de la situation en vue d’une admission au séjour à titre exceptionnel et humanitaire » de ces parents (19). En tant que camarade de classe, parents d’élèves et voisins, les « sans-papiers » apparaissent non plus comme une masse d’inconnus produit de cette misère du monde qui frappe à nos portes, mais bien comme des individus avec des noms et des visages. Cette proximité de l’étranger, ainsi que le fait qu’il est question ici non plus seulement d’adultes responsables de leurs actes mais bien d’enfants vulnérables, relativise la nature éventuellement illégitime de la présence des parents en France au regard de la législation. L’impératif de contrôle de l’immigration irrégulière, qui fait pourtant l’objet d’un certain consensus, ne saurait rendre les Français insensibles aux souffrances lorsqu’ils touchent des individus singuliers qu’ils ont l’occasion de côtoyer dans leur vie quotidienne. L’élan de solidarité à l’égard des sans-papiers, dont témoigne notamment le succès du Réseau Education Sans Frontières, ainsi que la médiatisation des interpellations qui ont lieu aux abords des écoles a doté le débat sur le contrôle de l’immigration clandestine d’une tonalité morale. Cela ne doit cependant pas faire oublier la véritable nouveauté que représentent les multiples restrictions au regroupement familial qu’introduisent les modifications intervenues depuis quelques années et qui concernent en priorité  les membres des familles d’immigrés en situation régulière ou de Français (20).
L’article 44 de la loi du 24 juillet 2006 porte de 12 à 18 mois la durée de séjour exigée pour qu’un requérant puisse déposer une demande de regroupement familial. Par ailleurs les conditions de ressources exigées ont été durcies. En plus des allocations familiales, qui ne sont plus prises en compte depuis la loi du 26 novembre 2003, d’autres sources de revenus comme le RMI ou l’allocation de solidarité spécifique sont dorénavant exclues du calcul des revenus du ménage. Les conditions de résidence ont également été rendues plus strictes du fait de l’élévation des surfaces minimales exigées et de leur modulation en fonction de la taille de la famille et des zones géographiques de résidence. D’autres modifications introduites en 2003 et renforcées en 2006, comme l’obligation qui est faite au demandeur de procéder au regroupement de ses enfants en une fois, ainsi que la possibilité pour l’immigré de se voir retirer sa carte de résident en cas de non respect de la procédure de regroupement familial, rendent à la fois plus difficile la conformité aux règles et plus pressantes les menaces de sanctions en cas de non respect de celles-ci. En plus de l’allongement des périodes d’attente avant le regroupement familial et de l’élévation des exigences de ressources, la loi introduit une nouvelle période d’attente de trois ans avant que les membres de la famille puissent obtenir une carte de résident, même si la personne qui a demandé le regroupement bénéficie elle-même de la citoyenneté française ou du statut de résident. Par ailleurs ont été introduites depuis 2003 de nouvelles conditions relatives à « l’intégration » des demandeurs du regroupement familial et des postulants au statut de résidents qui doivent « se conformer aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la république ». La délivrance d’une première carte de résident est ainsi subordonnée « à l’intégration républicaine de l’étranger dans la société française, notamment au regard de sa connaissance de la langue française et des principes qui régissent la République française » (art. 6 et 14 de la loi du 26 novembre 2003), conditions qu’il sera dorénavant de la responsabilité des maires de vérifier.
Quels effets ces modifications sont-elle susceptibles d’avoir sur les jeunes migrants ? La conséquence principale sera sans aucun doute d’orienter à la hausse l’âge moyen des enfants entrant dans le cadre du regroupement familial ce qui ne manquera pas de réduire davantage leurs chances d’accéder à une scolarité ordinaire, de compléter une formation qualifiante et d’obtenir un diplôme compte tenu des effets importants de l’âge à l’arrivée sur le déroulement de la scolarité. Les cas de jeunes primo-arrivants qui n’auront pas accès à l’école française ou qui y feront un passage très bref parce qu’ils sont proches ou ont dépassé le seuil des 16 ans risquent de façon mécanique de se multiplier. Ceux-ci risquent alors d’alimenter les rangs des chômeurs ou des travailleurs les plus précaires des secteurs comme le bâtiment ou la confection. Ces jeunes représentent pourtant un vivier potentiel de travailleurs qualifiés pour des secteurs en manque de main d’œuvre dans la mesure où, contrairement à leurs aînés, ils sont encore disponibles pour poursuivre des formations qualifiantes, et que, de surcroît, ils n’éprouvent pas le même sentiment de rejet à l’égard des emplois manuels que beaucoup des jeunes de deuxième génération.
Il est probable que se multiplient également les entrées d’enfants et de jeunes en dehors des procédures de regroupement familial. Un certain nombre de parents immigrés, qu’ils bénéficient d’un titre de séjour temporaire, d’une carte de résident ou de la nationalité française, préfèreront prendre le risque de tenter une régularisation de la situation de leurs enfants a posteriori plutôt que de rester séparés d’eux des années durant en attendant de satisfaire les exigences de la loi au risque de compromettre leur intégration scolaire et professionnelle en France. Ainsi, il apparaît en l’état actuel de la législation qu’un nombre croissant d’immigrés durablement installés en France et dont les enfants ont pour la plupart vocation à les rejoindre seront contraints de choisir entre la conformité aux exigences de la loi et la possibilité pour leurs enfants d’entamer leur vie en France à un âge où la maîtrise d’une deuxième langue et l’adaptation à un système scolaire nouveau est encore envisageable. Pour les jeunes filles immigrées en particulier, dont l’accès à l’activité professionnelle est étroitement corrélé à leur entrée en France à un jeune âge (21), les contraintes induites par la loi risquent d’en faire plus rapidement des candidates au mariage avec un compatriote que des femmes indépendantes et actives.
NOtES
(1) X. Thierry, « Évolution récente de l’immigration en France et éléments de comparaison avec le Royaume-Uni », Population, 2004, pp. 59-5.
(2) « La scolarisation des élèves nouveaux arrivants non francophones au cours de l’année scolaire 2004-2005 », Note d’information du MEN 06.08 mars.
(3) M. Tribalat , « Une estimation des populations d’origine étrangère en France en 1999 », Population, 1, 2004.
(4) Ined, Cent ans d’immigration, étrangers d’hier, Français d’aujourd’hui, (sous la dir. de M. Tribalat), Travaux et documents, Cahier n. 131, PUF, 1991.
(5) E. Maurin, , «Les étrangers : une main d’oeuvre à part ?», Économie et statistique, n° 242, 1991.
(6) C.-V. Marie et S. Signori, « La population des DOM-TOM vivant en métropole», Insee -Première, n° 204, 1992.
(7) INSEE, Tableaux thématiques, exploitation complémentaire. Population immigrée, population étrangère, 1999.
(8) A. Echadour, «Les jeunes d’origine portugaise. Immigrés ou enfants d’immigrés ?», Insee-Première, n° 427, 1996
(9) Y. Brinbaum et A. Kieffer, « D’une génération à l’autre, les aspirations éducatives des familles immigrées : ambitions et persévérances », Education et Formation, 72, 2005.
(10) C. Schiff, « Les conditions d’accès et d’intégration scolaire des primo-arrivants », in : La déscolarisation, sous la dir. de D. Glasman et F. Oeuvrard, Paris, La Dispute, 2004.
(11) L.-A. Vallet et J.-P. Caille, « Les élèves étrangers ou issus de l’immigration dans l’école et le collège français », Les dossiers d’éducation et formation, n°67, avril 1996, p. 106.
(12) Y. Brinbaum, Age d’entrée en France et situation professionnelle des immigrés, Mémoire de DEA, Université de Paris V, 1994.
(13) M. Tribalat, Faire France, Paris, La Découverte, 1995, pp. 143-147.
(14) Pour une présentation plus détaillée de ce travail voir Barbara Fouquet-Chauprade « Le suivi de cohorte de nouveaux arrivant : questions de méthode », L’intégration des nouveaux arrivants : quelle mission pour l’école ?, Les Actes de la Desco, 2004, pp. 112-126.
(15) Schiff, op. cit.
(16) C. Schiff et M. Lazaridis, « Une difficulté spécifique d’accès au système scolaire. Les jeunes primo-migrants en attente de scolarisation », VEI-Enjeux, 132, 2003.
(17) C. Schiff et al. « Les obstacles institutionnels à l’accès des enfants et des adolescents nouvellement arrivés en France à une scolarité ordinaire » in : L’accueil à l’école des élèves primo-arrivants en France, Paris, La Documentation Française, Coll. Études et recherches du FASILD, 2002.
(18) Les cas d’absentéisme scolaire sont rares au sein de cette population.
(19) Circulaire n° NOR/INT/05/00097/C du 31 octobre 2005.
(20) LOI n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, publié au JO 274 du 27 novembre 2003 et LOI no 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l’immigration et à l’intégration publiée au JO du 25 juillet 2006.
(21) Y. Moulier et R. Silberman, « La montée de l’activité des femmes étrangères en France : une tendance qui ira s’accentuant », Travail et Emploi, n°12, 1982, pp. 61-81.
~ Ecarts d'identité N° 110 : "Enfnats Nouvellement Arrivés en France. Le rendez-vous avec l'école~

Sommaire du N°[ Sommaire du N° ] Retour [ Index du N° ]Index du N°
Liste des N°[ Liste des N° ]Liste des N°
Retour au Sommaire[ Page d'Accueil ]Retour au Sommaire

ecarts-identite.org est un service de la revue Ecarts d'Identité.
Ecarts d'Identité - Rédaction - 10/12 Place des Ecrins - 38600 FONTAINE
Pour tout commentaire webmaster@ecarts-identite.org
Reproduction interdite ~ Copyright © Ecarts d'Identité 2001.